Un casting trois étoiles avec un savant mélange d'habitués de la troupe Klapisch (Duris, Luchini, Soualem) et de petits nouveaux (Binoche, Dupontel, Cluzet, Laurent), un retour au pays dans le Paris de Doisneau, voilà qui laissait espérer un nouveau film populaire de qualité comme "Un Air de Famille" ou "L'Auberge espagnole". Malheureusement, Cedric Klapisch rate son "Paris", et au lieu d'un Altman (il cite "Short Cuts" comme source d'inspiration), il nous sert plutôt un Lelouch de la mauvaise période.
Le problème du film choral, c'est que pour éviter le piège du film à sketchs, il faut un fil rouge convaincant et une unité de ton suffisante pour permettre des transitions en douceur. Or, ici, il n'y a ni l'un ni l'autre. L'histoire principale rappellera quelque chose à ceux qui ont vu "Le temps qui reste", de François Ozon : un homme encore jeune apprend qu'il risque de mourir, et il pose alors un regard nouveau sur ce qui l'environne. La gouaille insolente qu'ont mis en exergue Klapisch, Audiard ou Gatlif semble ici éteinte, et Romain Duris joue ce personnage dans le registre du pathos, là où Melville Poupaud faisait passer l'émotion dans la retenue et le silence.
L'autre écueil que n'a pas su éviter Klapisch se situe dans la disparité artificielle des groupes de personnages qui transforme définitivement "Paris" en une suite décousue de séquences, et dont le zapping permanent finit par perdre le spectateur. Il y a donc des histoires et/ou des personnages qui fonctionnent, comme celui d'Elise, remarquablement incarné par Juliette Binoche, qui en se dévouant pour son frère retrouve un sens à son existence en roue libre, ou celui de Roland sur qui tombe la chappe de la dépression alors qu'il est touché par le démon de midi.
D'autres intrigues ne prennent absolument pas, comme celle de la bande du marché, caricaturale et pesante, à l'image de la scène du restaurant où Gilles Lellouche fait faire la brouette à Julie Ferrier contre sa volonté, ou celle des mannequins qui viennent s'encanailler à Rungis ; Albert Dupontel semble perdu dans ce personnage à l'eau de rose, avec juste une réplique à la hauteur de son talent : à la bombe qui lui dit en découvrant Rungis "C'est fascinant, tous ces fruits, pour moi qui fais mes courses sur internet", il lâche : "Ce qui est fascinant, c'est de faire ses courses sur internet..."
Dans ce patchwork inégal, il y a heureusement quelques bons moments : le personnage de la boulangère xénophobe et moralisatrice jouée par une Karin Viard formidablement odieuse, le streap-tease de Juliette Binoche sur "Sway-Quien sera" chanté par Rosemary Clooney, la première séance de Luchini chez son psy joué par Maurice Bénichou, et surtout le rêve de François Cluzet traumatisé par ce que vient de lui dire son frère, et qui se retrouve en pyjama et en casque de chantier dans l'animation en 3 D qu'il a créée pour vendre ses immeubles.
C'est cette distance amusée, celle qui faisait apparaître un deuxième Duris jouant du pipeau quand il baratinait son banquier dans "Les Poupées russes", qui manque à ce film trop compassé, à limite du prétentieux. A trop vouloir dire (la crise de la quarantaine, les sans-papiers, les SDF, les non-dits familiaux...), Cédric Klapisch a perdu son sens de la narration et dilué son savoir-faire dans une construction artificielle qui traîne en longueur.
http://www.critiquesclunysiennes.com