Avec ce INTERSTELLAR Nolan nous plonge de nouveau dans le monde phantasmé et onirique de la BD dont les lois s'affranchissent aussi bien du bon sens que de la saine logique. L'univers y est réduit aux dimensions d'un parc d'attractions, vision puérilement réductrice, où il fait évoluer ses personnages. Évidemment, il est tentant d'ironiser une fois de plus sur ce grotesque plagiat du "2001" de Kubrick.
Ici les situations sont scientifiquement carrément délirantes : une planète en orbite autour d'un "trou noir" alors que ce dernier, selon la théorie, aspire toute matière jusqu'à des distances phénoménales. On peut aussi le voir, alors que la lumière est censée y être piégée, on peut encore le traverser alors qu'en réalité on y serait au mieux pulvérisé.
Un "trou de ver" (hypothèse purement conjecturale et abstraite de Ludwig Flamm) se trouve opportunément près de Saturne. On peut également le voir faisant office de panneau de signalisation, alors que ce phénomène -à supposer qu'il existe vraiment- ne pourrait être abordé qu'insensiblement sur des distances sans commune mesure avec ce qui est concevable à l'échelle humaine.
Les astronautes de Nolan pendant leur longue odyssée ne prennent pas une ride (alors qu'il est prouvé que l'organisme humain vieillit 5 fois plus vite simplement au cours d'un séjour prolongé dans une station spatiale).
Le supposé ralentissement du temps n'existerait que dans des conditions physiques extrêmes auxquelles des astronautes ne peuvent être confrontés. De plus des processus biologiques ne sont pas soumis aux théories de la relativité pas plus générale que restreinte.
Notre super héros, qui manipule -on ne sait comment- les ondes gravitationnelles communique en morse !!! avec sa fille en faisant bouger la trotteuse de la montre qu'il lui avait laissée en souvenir.
En S.F. on imagine fréquemment des voyages dans le passé dans le but de modifier des situations du présent. Nolan, lui, fait de la surenchère, en imaginant des événements qui n'ont pas encore eu lieu dans le futur capables de modifier le passé ???
Enfin l'apothéose : des physiciens d'une base secrète de la NASA qui (dans un avenir proche et grâce à des informations forcément collectées au cœur du fameux trou noir) parviennent à manipuler la gravité afin de déménager la bagatelle d'environ 10 milliards d'individus vers une autre galaxie.(élémentaire mon cher Watson ;-).
Bref, une véritable orgie de déraison. À ce stade ce n'est plus de la S.F. c'est du merveilleux genre contes de fées à usage de gamins de 7 ans dont on a su préserver la touchante innocence. Pourtant, afin d'offrir un vernis de respectabilité à son scénario, Nolan soulignait la collaboration de l'astrophysicien Kip Thorne. Las ! ce dernier a déclaré par la suite que personne ne s'était soucié de ses conseils et qu'il n'avait servi que de prête-nom. Stop, ce bref réquisitoire suffit amplement pour décerner d'emblée à Nolan la palme d'or du road movie interstellaire le plus absurde et le plus niais du 7ème art.
Cette parenthèse refermée intéressons nous plutôt aux mécanismes psychologiques qui ont permis à ce film de devenir un succès populaire :
"2001" avait certes eu un succès mérité, notamment grâce à la collaboration de la NASA pour les décors et les effets spéciaux mais son message à prétention métaphysique reste encore largement incompris à ce jour. La morale d'Interstellar, elle, stagne à un niveau simplement sociétal et c'est, à notre sens, l'un des facteurs de son succès auprès des masses.
Les thuriféraires et autres encomiastes de Nolan qui ont encensé ce film l'ont fait pour les raisons que nous allons tenter de cerner ci-dessous, ceux qui l'ont vilipendé l'ont considéré -de par sa vision vulgarisatrice à l'excès- comme un sacrilège eu égard à une science élitiste sacralisée.
Mais, à y bien réfléchir, Interstellar est-il vraiment un film de S.F. ou plutôt un énième western remis au goût du jour ? Il subsiste -de manière générale mais surtout dans l'imaginaire américain- un élan irrésistible vers des ailleurs prometteurs. Nolan le sait et ne se prive pas d'exploiter ce filon lucratif. De nombreux ingrédients nous mènent sur cette piste : -recherche d'espaces vierges à coloniser. -régions hostiles à franchir.(
lorsque le héros plonge résolument dans le trou noir on ne peut s'empêcher de voir en surimpression John Wayne fonçant, dans un nuage de poussière, sur un groupe d'Apaches en fouettant l'encolure de son mustang). Nous avons aussi la femme déterminée à rejoindre l'élu de son cœur galvanisée par son amour farouche et encore le fils auquel le père confie le ranch en son absence. Puis survient le personnage du méchant prétexte à l'inévitable duel final sur fond de manichéisme primaire. Enfin arrive le happy-end sous forme de retrouvailles sans oublier le cow boy qui, tel Lucky-Luke, repart seul vers son destin.
Connaissant le goût des Ricains pour ce schéma narratif bien rodé, Nolan était quasiment certain de rentrer dans ses frais ! Le reste du monde, soumis depuis des décennies à ces déferlantes venues d'Hollywood, ne pouvait que suivre. Comme quoi on peut toujours compter sur le panurgisme, l'inculture et la servilité des peuples.
Il subsiste cependant un certain nombre de paradoxes :
Que des ados, des adulescents souffrant, comme Nolan, du syndrome de Peter Pan se laissent envoûter par ces sornettes passe encore à la rigueur, mais que des adultes s'y laissent prendre voilà qui nous interpelle gravement. Un élément de réponse nous est fourni par le film de W.Allen "La rose pourpre du Caire". Les U.S.A. étant un des pays les plus inégalitaires, on voit dans ce film une laissée pour compte de l'américan way of life tenter de s'évader de son quotidien misérable en s'adonnant sans retenue à cette drogue douce qu'est le cinéma. Un autre élément semblable repose sur le phénomène d'identification, systématique chez les enfants, mais qui perdure souvent chez des adultes encore à la recherche d'une personnalité. Pendant la durée du spectacle (et même un certain temps après, variable selon les individus) s'effectue un transfert des potentialités du héros vers ce type de spectateur qui se sent alors investi des mêmes pouvoirs. Sentiment éphémère évidemment mais tellement rassurant.
Pour en revenir à Interstellar on est en droit de se demander ce que ses défenseurs y voient de valorisant. Cette expédition n'a rien d'une aventure scientifiquement prestigieuse et humainement désintéressée puisqu'elle est le résultat de l'inconséquence des humains et de l'incurie de leurs dirigeants.
Peut être a-t-elle néanmoins un effet cathartique dans la mesure où elle est présentée comme une solution miracle face aux angoisses existentielles actuelles régulièrement entretenues par les médias. (La conquête de Mars est devenue la nouvelle obsession outre Atlantique) Notons en passant que Nolan se garde bien d'évoquer la solution du Malthusianisme pour sauver l'humanité. Sujet tabou dans un pays où la Bible impose encore sa loi à tous les niveaux.
Nolan sait également titiller à propos la corde sensible d'une certaine catégorie de spectateurs. Afin que ces derniers puissent s'identifier plus facilement aux personnages, il n'hésite pas à ridiculiser son héros lorsqu'il le montre sanglotant -tel une machine à laver en mode essorage- devant une vidéo de sa fille.
(Et ça fonctionne puisque le magazine Marie Claire a trouvé ça tellement poignant qu'elle a hissé ce passage au rang de scène culte. Comme quoi la veine Berthe Sylva n'est pas épuisée) De même il fait dire à son héroïne (censée être pétrie d'esprit scientifique) : "Seul l'AMOUR transcende les dimensions temporelles et spatiales. Peut- être qu'on devrait accepter en confiance ce qu'on ne saisit pas encore." Concession évidente à l'obscurantisme religieux d'un pays où l'athéisme, l'évolutionnisme, le droit à l'avortement etc, n'ont toujours pas droit de cité.
Maintenant si l'on scrute plus précisément la diégèse du scénario des frères Nolan on aura la surprise de constater qu'il n'y est en fait que très peu question de S.F. hormis les copier-coller empruntés principalement à 2001 ; mais aussi à Star Trek ; Star Wars ; Gravity etc.[spoiler] La trame véritable du récit se résume à l'évocation moralisatrice obsessionnelle des rapports parents-enfants et notamment ceux de Cooper avec sa fille Murphy. Le ton est donné dès la trop longue introduction avec des réflexions du genre : " Le jour où l'on devient parent, on se trouve face à une évidence, c'est
qu'on veut tout faire pour que ses enfants se trouvent à l'abri."
L'acmé de ce thème trouve son expression la plus théâtrale dans ce fameux tesseract" qui illustre la salle de spectacle où va se jouer la grande scène du dernier acte. Cooper s'y déplace en lévitation, c'est dantesque ![/spoiler] (évidemment il ne faut par avoir vu au préalable le making-of montrant Cooper accroché par le fondement au filin d'une grue tel une araignée au bout de son fil.). Visiblement Nolan a voulu insuffler à cette scène la noblesse et l'apparat de la tragédie antique.
Murphy y joue le rôle d'Iphigénie et Cooper celui d'Agamemnon qui sacrifie sa fille pour des raisons transcendant la légitimité de l'amour paternel.
Évidemment Nolan (vu le QI moyen du spectateur ricain) est obligé de déflorer le sujet dès le début du film en montrant Murphy se révoltant contre le prénom (que son père lui a infligé) prophétisant la survenue d'un malheur inéluctable. Le traumatisme subi par Murphy suite à l'abandon de son père est le fil d'Ariane que le spectateur doit suivre dès le début pour saisir l'évolution des relations tendues entre ces 2 personnages.
A partir de là nous sommes obligés de subir l'évolution éthique judéo-manichéenne du récit. Pour parvenir à la rédemption de son péché d'abandon et espérer l'absolution finale de la part de Murphy, Cooper devra subir diverses mortifications au cours de ce qui ressemble fort à un voyage initiatique. Et c'est par cet aspect qu'Interstellar se rapproche le plus de 2001, la dimension épique en moins hélas. N'est pas Kubrick qui veut !
Pour finir on est encore en droit de se demander quel(s) message(s) Nolan veut transmettre par le biais de son film...si message il y a ? On peut en douter, car là encore les indices sont multidirectionnels et ambigus. Est-ce un plaidoyer en faveur de l'écologie, une incitation à la reprise de la conquête spatiale, un simple hymne à l'amour ou une dénonciation du relâchement des liens familiaux ? La balance pencherait plutôt en faveur de ce dernier aspect, compte tenu de l'incessante culpabilisation du héros abandonnant ses enfants. Selon Lyttelton, dès la naissance de son premier enfant, la paternité est devenue le cœur émotionnel des œuvres de Nolan. En fait est-ce si étonnant dans un pays où la violence, la déshumanisation, la distanciation des rapports sociaux causés par le travail à domicile, les smartphones, l'usage abusif de la réalité virtuelle, la robotisation des moyens de communication et le consumérisme à outrance, sont devenus un fléau sans précédent ?
Un dernier point et non des moindres : Jusqu'ici les U.S.A. étaient présentés dans la plupart de leurs films comme les défenseurs de la démocratie et des libertés. Déjà sur ce point la pilule est plutôt difficile à avaler si l'on considère le nombre de pays qui leur sont assujettis, sinon par la force, du moins politiquement et financièrement. Nolan en rajoute une énorme louche en les hissant au rang de "sauveurs de l'espèce humaine". (ce que le Ricain de base traduit automatiquement par "sauveurs d'eux mêmes" puisque tout ce qui n'est pas WASP est considéré comme quantité négligeable.)
Maintenant il serait intéressant de demander aux rares survivants du génocide amérindien ce qu'ils pensent de cette promotion au moment où leurs bourreaux envisagent à nouveau de les spolier d'une partie des territoires où ils survivent misérablement dans le but d'exploiter des gisements de terres rares. On pourrait poser la même question aux Vietnamiens, aux quelques rescapés d'Hiroshima et Nagasaki et de leur descendance qui souffrent encore des séquelles des radiations, sans parler des villes martyres de Dresde, de Hambourg, du Havre etc.
Rien que pour cette prise de position scandaleuse les films de Nolan devraient être interdits dans les pays civilisés pour perversion de la jeunesse et insulte à l'intelligence. On avait fait boire la cigüe à Socrate pour bien moins que ça...
CONCLUSION : Interstellar serait, paraît-il, un hommage de Nolan à son illustre mentor réalisateur de "2001 A Space Odyssey" devenu l'archétype incontesté du bon film de S.F. Eh bien, heureusement que Nolan n'a pas sévi 15 ans plus tôt, pauvre Stanley...ça lui aurait gâché ses derniers jours ;-(