Souvent considéré comme le film fondateur du genre "zombies" au cinéma (en oubliant, au passage, les aînés comme "White Zombie" avec Bela Lugosi ou "L’invasion des morts-vivants" de la Hammer), "La nuit des morts-vivants" est une véritable date dans l’histoire du cinéma d’horreur et marque la naissance d’un cinéaste devenu culte, George R. Romero, qui peut se vanter d’avoir révolutionné, à jamais, l’image des morts-vivants dans l’inconscient collectif. Car, si le film est resté dans les mémoires comme le "premier film de zombies" (à tort donc !), c’est parce que Romero a su réinventer une mythologie déjà existante dans la culture haïtienne (les morts étaient ramenés à la vie pour travailler dans les champs) en l’épurant de toute résonance esclavagiste au profit d’un renforcement du caractère violent et cannibale des cadavres ambulants. Certes, cette relecture fait perdre beaucoup d’exotisme (et, donc, de charme) à l’image du zombie mais s’avère être un coup de génie puisque, depuis Romero, le mort-vivant est universel et peut apparaître dans n’importe quelle société. Ce parti-pris renforce, également, le caractère horrifique du film puisque les zombies n’ont désormais qu’une idée en tête : se nourrir de chair humaine. Romero invente, donc, l’image iconoclaste du mort-vivant qui avance au ralenti avec des râles agonisants pour se jeter sur sa victime avant de la dévorer, toutes tripes dehors. J’ai, à ce titre, été agréablement surpris par la violence assumée du film, dans la mesure où la date de sortie du film (1968) me laissait craindre un traitement assez aseptisé, plus vraiment en phase avec les films qui l’ont suivi (à commencer par le "Zombie" de Romero de 1978). La horde de morts-vivants dépeçant leur victime ou le plan de la gamine, fraîchement "zombifiée", en train de bouffer son père sont autant de scènes chocs qu’on croyait impossibles pour un film de cette époque. Enfin, le réalisateur modifie, également, l’origine de l’apparition des morts-vivants en supprimant l’habituel maître vaudou au profit
d’une mystérieuse épidémie venue du ciel (plus précisément du retour d’une mission spatiale, rendant, ainsi, l'Homme responsable du Mal qui va le ronger)
… ce qui permet à Romero de densifier son intrigue d’une facette assez inattendue pour un film d’horreur de l’époque, à savoir une critique sociétale. Car, sous ses faux airs de série B fauchée, "La nuit des morts-vivants" est une incroyable critique de la société américaine de l’époque
(lâche, raciste, repliée sur elle-même, intolérante...)
. Ce n’est pas un hasard si le réalisateur a choisi, pour héros, un Noir à une époque où les premiers rôles du cinéma US étaient exclusivement blancs. Ce n’est pas non plus par hasard si Romero a fait de son film un huis-clos oppressant, en insistant, au final, davantage sur les réactions terriblement humaines des survivants cloîtrés que sur les monstres qui déambulent à l’extérieur. Point de héros vertueux ou de salaud définitif ici mais simplement des hommes et des femmes qui réagissent à des événements incompréhensibles et tentent de s’en sortir au mieux sans forcément être d’accord sur les moyens à employer. Certains se révéleront plus aptes à la survie que d’autres… Le panel de personnages proposés est, à ce titre, plutôt réussi et, même si les prestations des acteurs ne sont pas époustouflantes, on retient le jeu physique de Duane Jones, le traumatisme de la blonde Judith O’Dea et la lâcheté compulsive de Karl Hardman. Romero ne néglige pas, pour autant, ses zombies puisqu’il parvient, non seulement, à les rendre terrifiants en tant que tel (leur look, leur désincarnation, leurs mains menaçantes qui passent à travers les barrières...) mais, également, par le biais de flash infos réguliers décrivant les actes horribles qu’ils commettent. Ainsi, Romero n’a pas besoin d’en montrer trop à l’écran (et évite, ainsi, le risque de sombrer dans le grand-guignolesque) et se sert du pouvoir de suggestion de ces descriptions pour renforcer l’horreur suscités par ses monstres. Enfin, on oublie trop souvent d’insister sur la qualité de la mise en scène de "La Nuit des morts-vivants" et sur l’ingéniosité de son réalisateur qui, avec un budget ultra-serré, a su soigner ses plans et sa BO mais, également, magnifier son image avec un noir et blanc qui renforce les contrastes (et l’aspect cadavérique des zombies) tout en distillant une ambiance rétro qui n’est pas sans rappeler les productions des années 50 où les extra-terrestres envahissaient la Terre. Certes, le film manque, parfois, un peu de rythme mais c’est un souci mineur au vu des multiples trouvailles du réalisateur et de la révolution proposée. Enfin, ultime coup de maître, le film s’achève sur
une note effroyablement pessimiste sous forme de dénonciation à peine voilée des exactions dont les Noirs étaient encore victimes lors de sa sortie
. Ce final fantastique, tant par son propos que par sa forme
(un générique qui dévoile le sort réservé aux zombies et, donc, au cadavre de ce pauvre Ben, tué après avoir été pris pour l'un d'entre eux)
achève de faire de "La nuit des morts-vivants" un grand film effectivement fondateur qui a transformé, à jamais, les codes du genre... étant, tout de même, précisé qu'on reste devant un film de zombies qui, par essence, reste forcément limité dans son propos.