Cette Nuit des morts-vivants laisse une impression saisissante qui va au-delà de la peur cultivée par les ficelles thématiques et stylistiques de l'épouvante ou de l'horreur. Une impression de l'ordre du malaise qui naît du champ d'interprétation qu'ouvre le film. À la différence de Massacre à la tronçonneuse (1974), autre classique du genre, simplement mais efficacement horrible et rigolard, cette nuit zombiesque, d'une pure noirceur, présente un possible sous-texte social et politique assez troublant, qui fait sa richesse. Pourtant, à en croire George A. Romero et ses complices, aucun message n'était prémédité et l'objectif se limitait à faire un bon film de genre, rentable avec peu de moyens (mission réussie, au passage, avec 114 000 dollars investis en 1968 pour une recette qui a atteint 12 millions de dollars aux États-Unis et 30 millions à travers le monde, en 2000). L'équipe du film reconnaît toutefois qu'elle était forcément imprégnée par le contexte de l'époque. Et c'est ce contexte que l'on peut voir transpirer à l'écran, inconsciemment ou métaphoriquement, via le sort réservé au héros noir du film et via la symbolique des zombies, la peur qu'ils inspirent, la chasse et l'extermination dont ils font l'objet.
La couleur de peau de Duane Jones qui interprète le personnage principal n'avait peut-être pas d'importance particulière au moment du casting (toujours selon Romero), elle induit toutefois des tensions dans le récit, au sein de la maison assiégée, et illustre d'une certaine façon la situation des Noirs aux États-Unis en 1968 : une ombre d'inquiétude, un vague sentiment de menace se lisent dans le regard du personnage de Barbara (blanche) au moment de l'arrivée de Ben (noir) qui se sent d'abord obligé de justifier qu'il n'a pas volé la camionnette avec laquelle il est arrivé (!) et va ensuite entrer dans un rapport de force et de pouvoir avec l'un des deux hommes blancs de la cave. Son sort final, marqué par une terrible ironie tragique, rappelle par ailleurs les pires heures des crimes commis contre les Noirs aux États-Unis et peut facilement faire écho au sort tout aussi tragique de Martin Luther King, disparu le 4 avril 1968. Concernant la menace des zombies, faut-il y voir l'expression d'une peur d'invasion des communistes ou celle d'une mauvaise conscience à l'égard de "morts-vivants" vietnamiens furieusement bombardés à cette époque ? Tout est imaginable. L'idée d'associer ces zombies à l'actualité est appuyée par la forme même du film, très réaliste ou, du moins, qui entretient l'illusion d'une prise directe avec la réalité via l'insertion dans le récit de flashs d'info radio, de journaux télévisés avec intervention d'un expert scientifique et, à la fin, d'images fixes qui ressemblent à des photos de presse. Tout cela est renforcé, dans les scènes d'action, par l'utilisation d'une caméra à l'épaule, instable, aux effets quasi "documentaires". Et par un casting d'acteurs inconnus, personnages lambda auxquels il est facile de s'identifier.
Ce premier long-métrage de Romero, qui est surtout l'oeuvre collective d'une bande de potes cinéphiles (et travaillant, pour la plupart, au sein d'une même société de production audiovisuelle), est donc un petit coup de maître qui transcende le film de genre pour l'ouvrir, même de manière plus ou moins involontaire, à une forme de critique sociopolitique. Tout n'est bien sûr pas parfait dans la réalisation (parfois maladroite), dans la narration (avec une partie centrale un peu longue et bavarde) ou dans l'accompagnement musical (envahissant au début). Mais dans ce bricolage d'amateurs doués, il y a des moments de vraie inspiration horrifique (notamment la scène de cannibalisme), des contre-plongées bien flippantes, une bonne gestion des espaces entre l'intérieur et l'extérieur (avec un intérieur qui, de refuge, devient maison de l'horreur) et un superbe noir et blanc. On notera enfin, sur le fond, l'audace d'une histoire bien cruelle à l'égard des "gentils" et dévoyant l'image angélique de l'enfance au cours d'une séquence souterraine assez monstrueuse.
Rapidement devenu film culte, puis classique de son genre, ce film de zombies a initié une mode durable dans la production de films d'horreur, une mode que Romero a continué lui-même à alimenter avec différents ersatz, participant aussi à sa façon au Nouvel Hollywood.