Frank Darabont désormais célèbre pour avoir réalisé « Les évadés » en 1994, suivi en 1999 de « La ligne verte » (inspirés de l’œuvre de Stephen King) qui accéderont tous les deux au statut de films cultes, a aussi écrit plusieurs scénarios dont celui de « Frankenstein » (en collaboration avec Steph Lady) de Kenneth Branagh, sorti sur les écrans en 1994. De son travail, il dira : « C’est le meilleur scénario que j’ai écrit et le plus mauvais film que j’ai vu ». A l’époque de sa sortie, le film avait fait illusion, soutenu par le succès récent du « Dracula » de Francis Ford Coppola sorti en 1992, poussé par la reconnaissance critique dont jouissait à l’époque Kenneth de Branagh à la suite de son adaptation surprenante de l'oeuvre de Shakespeare avec « Beaucoup de bruit pour rien » et très attendu grâce à la curiosité de voir Robert de Niro interpréter la Créature. L’acteur cherchant à se renouveler devait en effet inscrire ses pas dans ceux très profondément marqués dans le sol d'Hollywood de Boris Karloff. Près de trente ans plus tard, le film produit par Coppola lui-même souffre terriblement de la comparaison avec l’adaptation complétement innovante et habitée de l’œuvre de Bram Stoker par le réalisateur du « Parrain ». Frank Darabont avait bien raison, son scénario plus près de l’œuvre originale de Mary Shelley avait tout pour séduire. Le malheur de « Frankenstein » version 1994, c’est la présence au générique de Kenneth Branagh aussi bien comme réalisateur que comme acteur. Le succès foudroyant de son début de carrière l’amenant à devenir réalisateur à seulement 29 ans à peine son parcours d’acteur de cinéma entamé, conjugué à son engagement sur un projet important à Hollywood, a visiblement entamé son potentiel de modestie. Son interprétation de Victor Frankenstein, les cheveux sur les épaules et les yeux cernés de khôl, finissant par exhiber une musculature toute récente soigneusement huilée pour aller combattre sa créature en dit long sur l’image de lui-même que l'acteur en pleine dérive mégalomaniaque entend imposer, Celle du nouveau beau gosse d’Hollywood aux côtés de Brad Pitt, Tom Cruise ou Johnny Depp. Pour satisfaire le débordement de l’ego de l’acteur, le réalisateur va se mettre aux ordres, livrant un film d’épouvante d’opérette, digne par instants d’un clip de Mylène Farmer qui va saborder un scénario prometteur et par ricochet le jeu de tous ses interprètes, bien obligés de suivre la manœuvre. Seul John Cleese, servi par un rôle relativement modeste, parvient à tirer son épingle du jeu. Helena Bonham Carter alors l'épouse de Kenneth Branagh est en surrégime jusqu’à devenir tête à claques ce qui est un comble pour cette actrice subtile qui heureusement trouvera meilleur mentor avec Tim Burton. Robert de Niro lui-même ne parvient pas à sauver l’affaire, son rôle étant cantonné dans une gamme de jeu limitée. Quant à Tom Hulce dont la carrière n’a jamais décollé après qu’il eut été Wolfgang Amadeus Mozart dans « Amadeus » de Milos Forman en 1984, il est resté en cale sèche après une prestation transparente. Pour achever le tout, la musique assourdissante de Patrick Doyle, fidèle compagnon de route de Branagh, omniprésente conduit le spectateur à se désintéresser de l’intrigue. En somme, un film qui malgré sa bonne performance commerciale, expliquée en amont, montre aujourd’hui ses limites qui sont abyssales. Heureusement, Kenneth Branagh la maturité venue s’est révélé un acteur solide comme il l’a prouvé en étant un Hercule Poirot tout à fait convaincant dans « Le crime de l’Orient Express » mis en scène par ses soins mais aussi très sobre quand il campa Wallander, un flic dépressif dans l’excellente série britannique éponyme. Comme quoi vieillir a parfois du bon.