Après la présentation Méliès (capturé par le fantasmagorique « Voyage dans la Lune » puis « Le chaudron infernal » et « Les cartes vivantes » notamment) en 2011, j’ai pris pour habitude de me retrouver autour d’un auteur/artiste à un moment de l’année. En a donc découlé le cycle François Truffaut (« Tirez sur le pianiste », « Jules et Jim »…), la découverte Jean Cocteau par le duo « La belle et la bête »/« Les parents terribles », la série bunuellienne (« Belle de jour », « Le journal d’une femme de chambre », « Viridiana »…) et la saga Claude Sautet (« Les choses de la vie », « César et Rosalie », « Un mauvais fils »…).
En cette fin d’année 2015, ma rencontre avec un peintre américain plus contemporain se profile. James Gray apparaît (enfin !) dans mon champ de vision cinématographique 21 ans après la sortie de « Little Odessa ».
Le cycle Gray se profile comme suit : le documentaire « Il était une fois… Little Odessa », « Little Odessa » (bien évidemment !), « The yards », « La nuit nous appartient » (déjà vu mais non critiqué), « Two lovers » et « Blood ties », le dernier Guillaume Canet en date.
Le documentaire m’a permis d’en savoir un peu plus sur la personnalité de l’artiste. La vision du cinéaste en est d’autant plus troublante, glauque et touchante : le portrait de James Gray, mis à nu, nous aide à rentrer de plein fouet dans son cinéma, et de le comprendre. Alors, allons-y !
Une fois entré dans « Litlle Odessa », on n’en sort plus. Par dépit, on en ressort exténué, dubitatif, mais surtout interrogatif. Et subjugué. Pour ma part, ce fut une claque cinématographique indéniable. Pour son premier long-métrage, après avoir suivi ses études à l’université de Los Angeles, école de cinéma réputée, James Gray frappe fort et signe un coup de maître autobiographique. Un génie est né !!
Synopsis : Joshua, un tueur à gages, revient sur les lieux de son enfance, Brighton beach, le quartier des juifs russes de New York, pour terminer un contrat. Mais son passé refait surface… .
Avec sa caméra virtuose, maître Gray nous glace le sang. D’une technicité à toute épreuve (la minutie du montage est parfaite) et d’une esthétique irréprochable (décors, photo, BO, casting) à la « Gandhi » d’Attenborough, le futur réalisateur de « The immigrant » nous empoisonne sur place. Son classicisme, porté par sa mise en scène, étincelle de toute beauté pour mieux nous empoigner. Joker assuré ! De plus, toute la symbolique qui entre en jeu dans les rapports familiaux (le complexe œdipien est bien présent dans sa splendeur et sa décadence : plus d’infos sur le site internet critikat) est diablement bien maîtrisé. Rarement épaisseur psychologique n’a atteint un summum comme celui-ci, et ce, dans un métrage que je qualifierai de drame homérique (pour le personnage principal, Joshua, qui doit constamment réfléchir à son destin). Excellentissime maître Gray ! D’autant qu’il s’agit d’un casting (classé luxurius aujourd’hui !) exploité jusque dans ses moindres failles. Palpitant !!
Dans « Little Odessa », on retrouve ainsi Tim Roth (ami de Goldman au théâtre, il est connu pour ses interprétations tarantinesques dans « Reservoir dogs » et « Pulp fiction ») dans le rôle du tueur à gages réfléchi, Vanessa Redgrave (fille de Michael. « Blow up », « Mission impossible »…) qui joue la mère souffrante, le regretté Maximilian Shell (frère de Maria, il a été oscarisé pour son rôle dans « Jugement à Nuremberg », film avec Widmark parmi tant d’autres) en père autoritaire, et Edward Furlong (« Terminator 2 » a lancé sa carrière) campant le frère désarçonné de Joshua. Tous les personnages, aussi complexes soient-ils, interagissent entre eux jusqu’à un point de non-retour. Cet imbroglio, parfois indescriptible, toujours empêtré dans les affaires de la famille ou de la mafia russe, nous permet de circuler dans ce vase clos par la superbe luminosité (sublimé par la neige illuminant la pellicule), la photo limpide et impitoyable (développée à merveille par Tom Richmond qui travaillera pour Ethan Hawke sur « Chelsea walls ») et la minutie des plans cadrés par l’auteur du scénario original, James Gray en personne.
Tous plus criant de vérité, à l’image d’un Tim Roth glacial, mystique (et viscontien : son charisme plane sur l’âme de « Little Odessa » tel un Bogarde sur « Mort à Venise » ou comme un Delon sur « Rocco et ses frères »), les acteurs concourent à maintenir l’essence du film sur le qui-vive. Les scènes de tuerie, marginalisées, filmées dans la pénombre ou sous un voile, la violence et le sang nous sont ainsi montrées le plus pudiquement possible pour nous imprégner de l’ambiance générale (néo-baroque) attisée par James Gray ; la BO (de Dana Sano, compositeur de « A good kill » d’Andrew Niccol, notamment illustrée par les chœurs russes Slavyanka) ne faisant que souligner ce dernier point.
Doté d’un point final atteignant une dimension christique (et maître Gray de nous faire un arrêt sur image sur les yeux bleus de Tim) à l’européenne (version pasolinienne : « Théorème »), maître Gray parachève son œuvre en nous laissant littéralement scotché sur notre écran.
Pour conclure, « Little Odessa » (1995), considéré comme le premier volet de la trilogie sur la famille (suivi par « The yards » et « La nuit… ») concocté par le tout jeune cinéaste d’à peine 26 ans !!!, est un chef d’œuvre lyrique néo-baroque prenant ses sources au cœur de l’Italie profonde.
Spectateurs, jamais les bas-fonds de New York n’auront été… aussi lointains !!
Pour une culture cinématographique complète. A voir une fois dans sa vie.
Interdit aux moins de 12 ans.
A noter : maître Gray a remporté le Lion d’argent et Redgrave la Coupe Volpi à Venise l’année de sortie de « Little Odessa ».