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Fêtons le cinéma
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4,0
Publiée le 4 octobre 2024
Mal aimé et possiblement incompris, le Don Quichotte de Georg Wilhelm Pabst offre pourtant non pas un premier chant du cygne de son auteur mais un acte de lucidité quant à sa position de marginal au sein d’une époque en pleine transformation politique, morale et esthétique. À contre-courant des ambitions nationalistes du gouvernement Goebbels qui accède, la même année, au pouvoir, Pabst se saisit de Don Quichotte comme d’une figure internationale par essence, en témoigne le choix d’un chanteur d’opéra russe, Fédor Chaliapine, en interprète de l’extravagant chevalier espagnol dans une langue qui n’est pas la sienne et dans un pays indéterminé où tout le monde parle français. Cette attention portée au cosmopolitisme révèle un engagement qui transparaissait par exemple dans Kameradschaft (1931), célébration du rassemblement des peuples en dépit des antagonismes de leur dirigeant respectif. Dès lors, le registre parodique inhérent à l’œuvre de Cervantès sert ici de base à une mise en abyme du régime nazi alors institué : comme l’auteur espagnol détournait avec malice les codes de la chevalerie représentés notamment dans l’Amadis des Gaules – notons au passage que Don Quichotte ne cesse de dialoguer avec lui, passant du public à la scène quand, interrompant le spectacle joué par une troupe itinérante, il affronte des comédiens qu’il considère comme de véritables chevaliers médiévaux –, le cinéaste allemand tend un miroir à son époque : l’obsession pour les livres et pour leur sauvetage renvoie à la pratique des autodafés inscrite d’ailleurs en clausule, la peur de la police qui « heureusement ne vient jamais » habite les individus, le regard que l’extérieur porte sur Don Quichotte le réduit à l’état ou de dissident politique ou de malade clinique, deux catégories qui résonnent avec la classification des prétendus dégénérés… Le personnage s’engage dans un opéra dramatique à la façon de l’opéra de quat’sous brechtien porté à l’écran en 1931 : le Mackie Messer mute ici en vieillard coupable de sa seule démesure, et de la confusion entre fiction et réalité qui règne pourtant en maître dans l’Allemagne des années 30. Là réside le paradoxe investi par le film : dégrader, pourchasser, épuiser le monstre par des machinations sociales alors même que c’est la société qui est monstrueuse. Cet oiseau d’un autre âge, c’est Pabst qui, issu du muet, porteur de valeurs humanistes, peine à trouver sa place parmi ses contemporains et au sein d’un pays en pleine radicalisation. Une œuvre à la mélancolie puissante.