Deuxième volet du diptyque consacré à cette bataille déterminante pour le sort de la guerre du Pacifique, "Lettres d'Iwo Jima" sort quatre mois à peine après "Mémoires de nos Pères" consacré au point de vue des Américains. J'avais assez peu aimé le premier opus, reprochant au scénario de Paul Haggis de se perdre dans un va et vient permanent entre la bataille et l'après-guerre, tout cela pour dénoncer de façon bien démonstrative la récupération politique de l'héroïsme des boys.
Le volant Japonais ne tombe pas dans ce travers, et respecte à la fois l'unité de temps et l'unité de lieu. Le film est découpé de façon très classique en deux parties à peu près égales consacrées respectivement à la préparation et au combat lui même, un peu comme dans "Les sept Samouraïs". La première partie permet de découvrir les deux personnages principaux, à l'opposé de la hiérarchie et pourtant unis par le sort réservé à leurs lettres : le général Kuribayashi et Saïgo, le boulanger devenu soldat. Elle nous fait aussi comprendre qu'au delà du sentiment partagé du devoir patriotique et du sens du sacrifice, l'armée japonaise est traversée par des corporatismes (la marine contre l'armée de terre) et des antagonismes (les deux officiers capables de montrer un peu de compassion et d'humanité ayant comme par hasard tous les deux vécu aux Etats-Unis).
Unité de lieu ensuite ; à part quelques flash-back fugitifs, destinés à éclaircir le passé des personnages et à montrer le militarisme et le contrôle policier de l'arrière, toute l'action se passe sur les quelques kilomètres carrés de ce bout de rocher, ou plutôt en dessous, puisque la plupart des scènes se déroulent dans les grottes creusées pour résister au pilonnage de l'île. Ce huis-clos permet de maintenir la tension dramatique, et mon évocation de Kurozawa n'est pas fortuite, si l'on pense par exemple à la communauté de destin entre les sept samouraïs et les défenseurs d'Iwo Jima, ainsi qu'à une façon de cadrer et d'éclairer les visages qui rappelle celle du réalisateur de "Rashomon".
"Mémoires d'une Geisha" était le premier film américain destiné au grand public tourné entièrement avec des acteurs asiatiques, mais il était quand même joué en anglais. Là, Clint Eastwood va au bout de la démarche et "Lettres d'Iwo Jima" vient de recevoir le Golden Globe du meilleur film en langue étrangère. "Tora, Tora, Tora" de Richard Fleisher et Kinji Fukasaku avait introduit la vision japonaise dans un film de guerre américain. Mais l'approche d'Eastwood est encore plus radicale, en consacrant tout un film au point de vue de l'ennemi ; et cette approche est d'autant plus intéressante quand on se rappelle que les Etats-Unis sont engagés aujourd'hui dans un autre conflit. Et quand le réalisateur raconte :"J'ai fait ces deux films en hommage à l'homme moyen. La moyenne d'âge des soldats américains était de 19 ans, celle des Japonais n'était pas très différente", cela renvoie à la jeunesse des soldats envoyés en Irak.
Malheureusement, on retrouve deux éléments qui m'avaient dérangé dans "Mémoires de nos Pères" : la photographie délavée aussi belle que la version colorisée de "La Vache et le Prisonnier", et la caméra parkinsonienne des scènes de combats, figure de style obligée depuis "Il faut sauver le soldat Ryan" (Spielberg est d'ailleurs le coproducteur de "Lettres d'Iwo Jima"). A ces défauts, j'ajouterai le reproche d'un certain manichéisme dans la peinture de l'opposition des bons, dont la nature généreuse se cristallise dans l'aide apportée à un GI blessé, et des méchants qui nous feraient prendre le capitaine Yonoi dans "Furyo" pour un philanthrope. Reste un beau film de guerre, paradoxalement plus américain par son clacissisme que le premier volet, et une vision de la guerre et des ses horreurs filmée au plus près des hommes, général en chef ou simple trouffion.
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