Le caramel, nous le voyons dès le générique, filmé en gros plans alors que des mains de femmes chargées de bracelets le cuisinent et le malaxent. Il ne s'agit pas de le manger, ou alors incidemment ; il fait ici office de crème épilatoire, et Layale s'en sert deux fois comme instrument de sa vengeance, contre la femme coupable d'être l'épouse de son amant, et contre le policier coupable de la verbaliser, et accessoirement de l'aimer.
"Caramel" se présente tout d'abord comme une succession un peu décousue de scènes montrant la vie des protagonistes de ce Venus Beauté Institut oriental. Le plus souvent filmé en intérieur et en plans serrés, ces scènes pourraient se dérouler dans n'importe quelle ville méditerranéenne. Nulle trace de bombardements, d'attentats suicides ou de tensions inter-communautaires. Au contraire, le salon Si Belle apparaît comme un microcosme de cette représentation du Liban d'autrefois, qu'on avait baptisé "la Suisse du Proche-Orient", et à qui la réalisatrice dédie le film par ces mots "A mon Beyrouth".
Il y a bien une lettre affaissée sur l'enseigne du salon, symbolique du délabrement de la capitale libanaise, ou un milicien qui qualifie d'attentat à la pudeur la discussion nocturne de Nisrine et de son fiancé dans la voiture de ce dernier, ou encore l'opération de cette même Nisrine qui se fait recoudre son hymen avant son mariage (sous le pseudonyme "français" de Julie Pompidou !) Mais cette opération donne justement lieu à une mobilisation solidaire de toutes les femmes du salon, et si le choix de la scénariste-réalisatrice (et actrice principale) chrétienne de raconter cet épisode n'est pas innocent, la tendresse avec laquelle elle filme la discussion de la mère de Nisrine avec sa fille la veille de son mariage est là pour nous montrer qu'il n'y a pas de jugement.
De même, si c'est bien entendu le point de vue des femmes qui prédomine, les hommes sont plutôt sympathiques, à l'exception de l'amant de Layale qu'on ne voit d'ailleurs jamais. Au fur et à mesure qu'avance le récit, l'impression de manque d'unité s'estompe, et malgré une musique un peu loukoumesque, les personnages finissent par prendre de la consistance, à l'image de Lili, que Nadine Labaki raconte avoir créé en s'inspirant d'une Madame Butterfly libanaise, amoureuse d'un militaire français reparti dans son pays et dont la famille interceptait les lettres. La scène finale du mariage fait contrepoint à un autre mariage du cinéma libanais, celui du "Cerf-Volant"de Randa Chahal Sabbag, où la frontière israélo-libanaise séparait les deux mariés. Dans cet Orient compliqué vers lequel De Gaulle volait avec des idées simples, Nadine Labaki a choisi la voie de l'optimisme et nous entraîne avec elle.
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