"Le corniaud" est devenu rapidement un grand classique de la comédie française. Il suffit de l’évoquer pour que tout de suite revienne en mémoire le duo qui nous a fait tant rire : Louis de Funès et Bourvil. Un tandem inoubliable, si irrésistible qu’on en vient à regretter que cette association n’ait pas été plus exploitée. Encore que "Le corniaud" pourrait n’être considéré que comme un hors d’œuvre, puisque Gérard Oury a eu la lumineuse idée de remettre en scène ce duo fou un an et demi plus tard au cours d’une grande escapade des plus mémorables au cœur même de la Seconde Guerre Mondiale. Oui je parle bien de "La Grande vadrouille". Pour beaucoup de spectateurs, l’association de Bourvil avec de Funès n’a eu lieu que deux fois. Des cinéphiles plus aguerris disent plutôt trois, en pensant à "La traversée de Paris". C’est exact mais insuffisant : c’est en 1954 que nous les trouvons réunis à l’écran pour la première fois, à l’occasion de "Poisson d’avril", avec également Pierre Dux et Annie Cordy. Par l’intermédiaire de "Le corniaud", Bourvil et de Funès entrent dans les meilleurs duos qui aient jamais existé, en transformant l’essai avec "La grande vadrouille". D’ailleurs, une grande majorité du public s’accordera à dire que c’est là le meilleur duo français de tous les temps. Comme un symbole, et sans faire attendre le spectateur plus longtemps, le cinéaste fait croiser leurs chemins par une rencontre choc. Il suffit d’une 2CV démontable et d’une grosse voiture qui se croit tout permis pour que leurs occupants se livrent tout de suite à des répliques cultes. Ainsi le ton est donné pour les 145 minutes qui suivent. Du pur bonheur. Le plus effarant est que ce sont les choses les plus simples qui fonctionnent le mieux : entre la façon dont de Funès dit « le Youkounkoun… il est LA !! » en joignant le geste à la parole (on notera au passage comment le réalisateur gardera un minimum de suspense même si on comprend rapidement où le mystérieux joyau a été logé), le galurin écrasé suite à un malencontreux mais drôlissime coup de portière, etc… Mais le plus étonnant dans tout ça, on a tellement vu et revu ce film qu’on ne se lasse pas de regarder tant il est bon comme du bon pain, c'est qu’on connait tous les gags d’avance et que malgré ça ils nous font toujours éclater de rire, y compris les répliques cultes bien que pas toujours prononcées par nos deux fanfarons. « Vous mé plé beaucoup aussi » : avouez que c’est tordant, et très tentant à faire quand on vous demande d’épeler votre nom. Après, tout n’est pas parfait, ce qui pourrait nous faire dire que "Le corniaud" n’est qu’un galop d’essai à "La grande vadrouille". D’accord mais ça en un beau quand même ! Bref, revenons à ces imperfections. Gérard Oury, par sa caméra prend la place du regard de Bourvil qui plonge non sans rêvasserie dans le délicieux décolleté de sa manucure, révélé par le bouton du haut oublié. Sur le plan d’après, il est reboutonné ! Qu’importe, Gérard Oury aura la bonne idée de mettre en valeur les formes de Gina (Alida Chelli) par la transparence de sa blouse. de quoi en faire fondre plus d'un, aussi on comprend aisément la jalousie maladive du coiffeur joué par Lando Buzzanca, lequel a su faire preuve de spontanéité en changeant d’expression du tout au tout en un dixième de seconde au gré des paroles distillées par un Bourvil en mode lover, même si Buzzanca sert une description très clichée des siciliens, et plus largement des italiens. Eh oui, l’air de rien j’en arrive à ce que j’aime le moins. Car selon moi, le gros point faible du film, en tout cas celui que je préfère le moins, c’est ce qui suit la course-poursuite (par ailleurs tournée en images accélérées pour rajouter du rythme, mais… était-ce bien nécessaire tant c’est visible à l’écran ?) : la partie de cache-cache (si je puis appeler ça ainsi) nocturne dans un splendide jardin. Mais au moins, même si le film semble subir un coup de mou, cette scène a le mérite de nous amener LE show de Funésien. Un show sans la moindre réplique, tout en musique ! Une scène culte là encore, certes acquise à la gloire de notre p'tit Louis national, à laquelle on se doit d’en rajouter plein d’autres. "Le corniaud" est un classique incontournable du cinéma français, même si au fonds, il ne fait que tourner en dérision des portraits et fonctions : personne n’y échappe et ça va du parfait corniaud au truand qu’est Saroyan (Louis de Funès), en passant par le commissaire de police (Jacques Ary), la nudiste (Beba Loncar), les italiens pour les uns jaloux et pour les autres un peu voleurs sur les bords (en tout cas malhonnêtes par le garagiste servi par Saro Urzi), sans oublier l’athlète qui se la pète et dont on se demande aujourd’hui s’il n’y a pas une allusion moqueuse à la culture du beau corps bien sculpté et à la moquerie déplacée envers les gringalets, ou (encore plus loin dans une vision plus moderne) à l’homosexualité par les regards lancés vers un Louis de Funès qui parait du coup très très très chétif. Qu’importe, tout fonctionne, et c’est ce qui compte. On le doit à l'alchimie qui règne entre les deux acteurs principaux, mais aussi à tous ceux qui se sont mêlés à la fête. Un 4,5 bien mérité pour cet hilarant road movie qui nous fait voyager de Naples à Bordeaux, lequel se conclue en dépit d’un scénario des plus simples sur une morale stipulant qu’il ne faut pas prendre les gens pour plus bêtes qu’ils ne le sont. 110 minutes de bonne humeur donnée par ce classique qui a traversé des dizaines d'années sans trop vieillir, et qui sans aucun doute continuera à le faire.