Je suis encore étonné (et réjoui) du succés qu'"OSS 117 : Le Caire nid d'espions" a rencontré, que ce soit en salle (2,2 millions de spectateurs), en DVD ou lors de sa récente diffusion sur M6 (4,6 millions de téléspectateurs). Etonné, car l'humour de Michel Hazanavicius repose sur un cocktail savant qui fait appel à l'intelligence et à la culture du spectateur, bref sur tout autre chose que les recettes habituelles des comédies françaises, gabarit "Asterix aux Jeux Olympiques" ou "Coco" (que je n'ai pas vu, la B-A m'a suffi).
Ce cocktail, dont on retrouve les composantes essentielles dans le deuxième opus, s'appuie sur une logique de l'absurde digne de Jean Tardieu, comme la conversation au SDECE où OSS 117 et ses collègues évoquent en s'esclaffant une kyrielle de noms dont on ne saura rien, et qui tire parfois du côté du burlesque, avec ici une mention spéciale pour Rüdiger Vogler, grand acteur de Wim Wenders, à qui le réalisateur reconnaît qu'il lui a demandé de faire"ce qu'il y a de pire pour un acteur allemand, un nazi dans une comédie française", et qui s'est inspiré de Chaplin et de Keaton pour composer son personnage.
Le deuxième élément repose sur la contextualisation de l'histoire dans une époque, un pays et une situation géopolitique. On passe donc de la IV° République de René Coty (mon frère, prof d'histoire en lycée, me racontait que depuis deux ans les élèves connaissaient l'ex-député de la Seine Inférieure) à la V° République du Grand Charles, dans un monde qui change et où apparaissent le féminisme, le mouvement hippie et la libération des moeurs. Bien entendu, comme le proclame la bande-annonce, si le monde a changé, OSS 117 n'a pas bougé d'un iota et son décalage n'est plus uniquement avec les spectateurs du XXI° siècle, mais aussi avec ses contemporains ; le rôle de Dolores sert d'ailleurs à ça, à opposer une parole sensée aux délires sentencieux et rétrogrades (c'est un euphémisme) du meilleur des agents du SDECE.
La troisième qualité des deux OSS se situe dans la perfection de la parodie formelle. Comme l'explique le réalisateur, entre 1954 et 1967 était passée la Nouvelle Vague, et si "OSS 117 : Le Caire nid d'espions" utilisait les codes hitchcokiens (transparences, nuit américaine), le nouvel épisode s'inspire plus du cinéma hollywoodien des années 60 : split-screens, coups de zoom ou piscine uniquement peuplée de superbes filles brésiliennes. Le soin apporté aux costumes (ah, l'ensemble pull-fuseau très Jean-Claude Killy d'OSS 117 à Gstaad, ou le costume de Robin des Bois-Eroll Flynn), aux décors et aux divers accessoires, comme le dit Michel Hazavanicius, "permet aux acteurs de dire d'énormes conneries".
Les références cinématographiques sont légion : Hitchcock, avec le vertige d'OSS qui rappelle "Vertigo", ou la scène finale où le Christ de Corcovado remplace le Mont Rushmore de "La Mort aux Trousses", "Sous le plus grand chapiteau du monde" dans le flash-back récurent qui nous montre ce que Hubert faisait avant d'être OSS, "L'Homme de Rio", bien sûr, dans l'utilisation des décors naturels (Corcovado, Brasilia, l'Amazonie) ou "Les Tribulations d'un Chinois en Chine", pour l'apparition répétée de tueurs chinois.
Comme dans toute bonne suite, on retrouve des éléments du premier film : les nazis, les tendances homosexuelles refoulées du héros, l'arrivée à l'aéroport entouré de belles filles ; mais il y a aussi des transpositions et des nouveautés. L'ignorance crasse de la géopolitique persiste, ainsi que les préjugés. Au Caire, OSS 117 faisait taire le muezzin qui l'empêchait de dormir ; à Rio, il hésite à confier son argent à des agents du Mossad, résume la Shoah par une phrase "Ah ça ! Quelle histoire..." Son antisémitisme se situe au niveau de l'inconscient d'un Louis de Funés qui expliquait candidement ses préjugés avant "Les aventures de Rabbi Jacob", ou de Raymond Barre déplorant les victimes "innocentes" pour désigner les non-juifs tués lors de l'attentat de la Rue des Rosiers. Et souvenons-nous qu'en 1967, De Gaulle avait qualifié les juifs de "peuple d'élite, sûr de lui-même et dominateur"...
Michel Hazanavicius a expliqué que "quand vous mettez deux scénaristes dans un bureau pendant huit mois et que vous les payez pour dire des conneries, ils disent des conneries. Le problème est d'organiser ces conneries dans une histoire pour faire un scénario qui lui-même n'a qu'un but, permettre de faire un bon film." Cette démarche se ressent, ce n'importequoitisme assumé avec maestria pour justifier des idées aussi loufoques que de faire danser la rumba à des officiers SS, de cuire un crocodile à la broche ou de construire un pédalo à tête de canard. Neuf fois sur dix, ça fonctionne parfaitement ; la dixième fois, ça à tombe à plat, déchet bien acceptable au regard du culot de l'ensemble.
Quand à Jean Dujardin, une nouvelle fois excellent, il a donné dans une interview la clef pour comprendre son personnage : c'est un enfant de huit ans. On comprend mieux ainsi sa pensée magique qui l'amène à se protéger des balles en mettant sa main au-dessus de son visage (il a piqué l'dée à Daniel Craig), sa rapidité à se vexer et à s'entêter, ou son déni de la réalité qui l'amène à proclamer "C'est pas moi", alors que 30 personnes ont vu le coup partir de son lüger et abattre son prisonnier.
Quatre fois moins cher qu'Astérix, et quarante fois plus drôle, "OSS 117 : Rio ne répond plus" réussit la gageure de satisfaire l'envie de retrouver les composantes drolatiques du premier épisode, tout en sachant renouveler l'inspiration grâce à cette avancée dans le temps. Il ne nous reste plus qu'à attendre de voir HBdlB sauver les diamants de Bokassa, couler le Rainbow Warrior ou reprendre les essais nucléaires dans le Pacifique.
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