Paris, 1967. Armand Lesignac (Pierre Bellemare), chef des services secrets français, briefe OSS 117 sur sa couverture pour sa prochaine mission:
"Vous êtes reporter photographe dans un journal du soir et vous vous appelez Noël Flantier."
-Noël Flantier??? Mais qui s'occupe de trouver les noms au bureau???"
Aucun doute, on est bien chez Michel Hazanavicius et son second volet des aventures du héros écrit par Jean Bruce se hissera à la hauteur pourtant stratosphérique du premier. Deux comédies style "pastiche" regroupées dans ce joli coffret, indissociables tant elles atteignent aussi bien l'une que l'autre les sommets du genre. Si les bande-annonces très prometteuses pouvaient laisser craindre qu'elles intégraient tous les meilleurs moments (comme c'est souvent le cas), les films ont dépassé toutes les espérances grâce à une invraisemblable richesse burlesque.
Situé en Egypte en 1955 où l'agent secret Hubert Bonnisseur de la Bath alias OSS 117 est chargé de sécuriser le Proche-Orient dans "Le Caire: nid d'espion", puis au Brésil douze ans plus tard où il doit sauver l'honneur de la France en débusquant une amicale d'anciens nazis et son maître-chanteur dans "Rio ne répond plus", les scénarios, résolument rocambolesques, sont évidemment ici secondaires. Les deux films sont d'abord de brillants exercices de style, (comme le sera "The Artist" du même auteur quelques années plus tard), et de fantastiques hommages aux films des années 50/60 grâce à une réalisation remarquable de précision fétichiste. Tout y est, rigoureusement identique: cadrages, zooms, panoramiques, accélérés, split-screens, flash-back, effets spéciaux (dont une superbe "nuit américaine" lors d'une séquence de poursuite dans les ruelles de la médina se terminant par un dénouement génialement piteux). Hazanavicius pousse le perfectionnisme jusque dans l'utilisation d'une pellicule de même sensibilité que celles utilisées à l'époque et d'anciens projecteurs afin de restituer ces couleurs et cette photo typiques, bichonnées par l'apport HD du blu-ray.. Pour les amateurs de panoramas, le travelling avant amenant la vue plongeante sur la baie de Rio et son fameux Pain de sucre imprimera sur leurs rétines un inexpugnable instant de ravissement esthétique en Cinémascope. Décors, costumes, musique, langage et bruitages viennent couronner la réussite de ce travail d'orfèvre à tel point qu'on se croirait devant un vieux James Bond. Pas un hasard, puisque les aventures du célèbre espion britannique ont servi, avec les films d'Hitchcock, d'inspiration principale. Principale, précisons-le car les deux longs métrages sont de véritables oeuvres pop sur pelloche, foisonnantes de références cinématographiques et culturelles vintage.
L'intérêt ici réside bien sûr dans le détournement des codes du genre et de ses dialogues, et on sait depuis "Le grand détournement: la classe américaine" réalisé en 1993 pour Canal qu'Hazanavicius est un des maîtres en la matière (aux côté de Nicolas et Bruno, les responsables de la série des "Message à caractère informatif", autre monument de détournement absurde diffusé sur la chaîne crypté). Un sens de la déconne décidément mijoté "à la sauce Canal" puisqu'on retrouve au générique Jean-François Halin, un des auteurs historiques des Guignols, avec qui il mitonne aux petits oignons des gags à pleurer de rire et une collection de vannes toutes plus cultes les unes que les autres. En ces temps de vains et interminables débats sur la liberté d'expression, croquons à pleines dents ce festival de saillies politiquement incorrectes (en particulier sur les arabes dans le premier opus et les juifs dans le second), écrites à l'encre acide de l'anti-conformisme salvateur. Une multitude de répliques acérées et mordantes jouées avec un tel art du décalage que seuls les insupportables professionnels de la bien-pensance (ou plus simplement les cons) oseront encore s'en indigner. Une férocité et une audace qui n'épargnent d'ailleurs pas La France et son passé géopolitique dans des scènes savoureuses, qui ont le mérite d'ancrer les films dans une réalité historique peu glorieuse que d'aucuns souhaiteraient "oublier".
Mais que seraient ces deux délices d'humour, dont l'irrévérencieuse saveur s'adresse autant à nos yeux qu'à nos oreilles, sans un interprète à la hauteur d'un tel caviar de texte? Et bien je vais vous le dire, moi: rien, tout simplement. Pour la simple et bonne raison qu'ils n'existeraient pas. Le réalisateur ne se serait jamais lancé dans ce défi sans Jean Dujardin, parce que c'est incontestablement le seul en France à pouvoir jouer ce rôle et tenir la cadence imposée. Car c'est clair et net comme un coup de polish: dans le registre de la comédie (Brice de Nice, 99 Francs, Les infidèles…), ce mec est une Ferrari, et OSS 117 est le tracé idéal pour exploiter pleinement sa puissance comique fulgurante. La performance est proprement énorme. Il n'y a pas un seul autre acteur français capable de passer en un quart de seconde de l'élégance typiquement anglo-saxonne à la beauferie franchouillarde la plus crasse. Physiquement, déjà. En grande partie inspiré par Sean Connery jusque dans son lever de sourcil dans "Le Caire: nid d'espion" et par Paul Newman et Belmondo dans "Rio ne répond plus, son jeu corporel et facial est exceptionnel. Démarche, posture, attitudes, regards, sourires, mimiques: toute la panoplie de la coolitude 60's est minutieusement ringardisée. Le travail vocal est tout aussi drôle et impressionnant, notamment à travers le rire, le phrasé et les ruptures de ton. Des ruptures indispensables pour pianoter sur le contraste d'un personnage à l'apparence classieuse, attachant mais fermement idiot, xénophobe, antisémite, chauvin, ignare, macho et ayant la particularité de vouer une admiration sans bornes à sa propre personne. Les deux films saupoudrent allègrement de gros sel là où ça gratte, installent des silences et jouent sur les contre-champs, marquant l'embarras provoqué par l'édifiant manque de filtre sur les paroles du personnage dans des scènes cultissimes (le porte-parole égyptien dans le premier volet, les agents du Mossad dans le second). Il faut d'ailleurs absolument visionner la version intégrale de la scène du kiff avec le porte-parole égyptien dans les bonus du blu-ray: un immense moment de dérision sur le mode de vie arabo-musulman, et un gros coup de pied au cul de tous les moralisateurs à deux euros et autres dictateurs de la pensée. Dujardin y est ahurissant de drôlerie dans une interprétation légèrement différente de celle intégrée dans le montage final (quel gâchis d'avoir charcuté cette scène d'anthologie!!). A montrer dans toutes les écoles enseignant le 7ème art plutôt que des extraits de films de Rohmer ou Kechiche, ça changerait peut-être la face du futur cinéma français.
Une petite mention aux seconds rôles, à commencer par François Damiens dont les deux brèves apparitions sont irrésistibles. Les prestations féminines, de Bérénice Béjot à Louise Monot en passant par Aure Atika, rivalisent de charme old school tout en étant parfaites en faire-valoir intelligentes et dynamiteuses de clichés. Aure Atika donne véritablement corps au meilleur plan de comédie vu ces dernières années (dans la première aventure), modèle imparable de détournement d'une figure archi-classique de cinéma à l'ancienne: (Attention spoiler:-) on y voit la princesse Al Tarouk et OSS 117 allongés sur un lit, l'agent secret français embrassant sa conquête dans un accès de suavité pseudo-bondienne, puis la caméra, pudique, les laisse en panotant lentement sur un vase de roses posé sur la table de chevet, poursuit son mouvement et arrive malencontreusement sur un miroir où l'on voit ce qu'on n'aurait jamais dû voir: un OSS 117, sensiblement moins classe, ridiculeusement pressé et maladroit. Choquée et coupable de détruire le mythe, la caméra exécute une "double take", interromptant brusquement son panoramique pour retourner illico se fixer sur le vase. Pas la moindre ligne de dialogue, seul le talent parle. Purement et simplement jouissif.
Une scène embarrassante pour son protagoniste qui nous offre de surcroît l'occasion rêvée de conclure en mettant en parallèle ces propos du" héros", (issus de la deuxième aventure), limpides et définitifs: "Avec moi les histoires d'amour ne s'écrivent pas dans le temps, ce sont des histoires courtes. Compactes. Passionnelles. Je ne sais pas vivre autrement. D'aucuns ont des aventures, je SUIS une aventure."
Dame, une troisième!! Vite!!!