Suite au grand succès de Batman Forever, Warner Bros. veut rapidement un nouveau film pour continuer de rentabiliser sur la licence. De son côté, Joel Schumacher souhaite pousser le délire encore plus loin pour continuer de séduire le grand public, tout en tentant un hommage au comique bien trempé de la série télévisée de 1966. Le tournage est ainsi expédié en quatre mois pour une sortie durant l’été 1997. Au lieu de reprendre le rôle de Bruce Wayne, Val Kilmer opte pour celui de Simon Templar dans une nouvelle adaptation du Saint de Leslie Charteris, laissant sa place à Georges Clooney (Urgences, Une nuit en enfer). Si Chris O’Donnell renfile le costume de Robin, une mystérieuse jeune femme fait son apparition sous les traits d’Alicia Silverstone (Clueless). Dénommée Barbara Wilson (toute ressemblance avec la fille du commissaire Gordon serait purement fortuite), il s’agit en réalité de la nièce d’Alfred, dont la santé commence à devenir fragile.
Schumacher continue d’exploiter de nouveaux ennemis de l’homme chauve-souris avec un duo non dénué d’un certain charme. Tout d’abord avec Mister Freeze, incarné par Arnold Schwarzenegger (True Lies, L’Effaceur, La course aux jouets), un ancien scientifique victime de ses recherches en cryogénie, cherchant à obtenir de quoi financer un traitement pour sauver sa femme atteinte du syndrome de McGregor. Son background tragique est basé sur celui de la série animée Batman de 1992 avec l’épisode « Amour on ice », les comics lui ayant de base donné un caractère bien plus burlesque. Le scénario dévie ensuite en Amérique du Sud avec le docteur Pamela Isley, jouée par Uma Thruman (Les liaisons dangereuses, Sang chaud pour meurtre de sang froid, Pulp fiction), qui devient Poison Ivy après avoir été en contact d’un peu trop près avec des produits chimiques. Cherchant à dominer le monde à l’aide de plantes carnivores, elle est assistée par Bane, un condamné aux muscles hypertrophiés par du venin de fleur tropicale
« Qu’est-ce qui a tué les dinosaures !? L’ère glaciaire !! »
Après un dialogue introductif mémorable, le film annonce la couleur avec la présentation des costumes de Batman et de Robin sous des plans montrant leurs tétons, leurs fesses et même leurs entrejambes. Il alterne ensuite entre des dialogues qui flopent (« Salut Freeze, je suis Batman ! »), un acting surjoué ou inexistant (Clooney en tête), des situations ridicules (les patins à glace incorporés dans les chaussures de Batman et Robin) et une esthétique kitschissime bourrée de lumières et de personnages colorés qui contrastent totalement avec Gotham restée sombre. La volonté de vendre des jouets tirés du film est tellement présente qu’elle est même incrustée dans une réplique (« Les poupées Poison Ivy sont toujours vendues dans la même boîte ! »). La réalisation est bancale de bout en bout avec des scènes d’action molles, des plans débullés à outrance et des effets spéciaux grossiers, notamment lorsque les muscles de Bane gonflent. La physique elle-même défie tout réalisme entre la poursuite dans la fusée, le surf en plein ciel et les satellites détournés en un rien de temps vers la fin.
Ce qui frappe le plus est sans doute le nombre astronomique de jeux de mots moisis présents dans les dialogues. Freeze remporte la palme haut la main en multipliant les blagues sur le froid (« C’est l’iceberg qui débarque ! »), incitant de fait Batman à surenchérir (« Freeze, t’es givré ! ») et une de ses acolytes à en rajouter (« Oh je suis en chaleur ! […] Ça n’a rien de blizzard, je t’ai dans la peau ! »). Poison Ivy n’est pas en reste entre jeux de mots de bas étage (« C’est vraiment la jungle ici… ») et allusions sexuelles à tout-va (« L’un d’entre vous, petit veinard, est sur le point de butiner le miel ! »), Freeze lui-même y ajoutant sa touche (« En voilà une belle plante ! »). D’une manière générale, les personnages principaux ont tendance à se ridiculiser, entre Batman qui tue ce qui lui reste de crédibilité en dégainant une carte de crédit à son effigie, Robin qui surestime son humour face aux joueurs de hockey (« Ils nous cherchent des crosses, vieux frère ! ») ainsi que Freeze en peignoir qui fait chanter ses hommes de main et qui est blindé de pizzas surgelées dans sa réserve.
« Laissez-moi briser la glace : mon nom est Freeze, retenez-le bien, parce que je glace le sang et refroidis les humains ! »
Poison Ivy abuse tellement de ses pouvoirs de séduction que c’en devient malaisant (« J’ai envie de couper le blé en herbe avec vous, ma pelouse est dans tous ses états ! ») et Bane, s’il est de base un personnage particulièrement stratégique et intelligent, se voit réduit à un gros bêta qui crie et défonce tout. Le seul point positif est son apparence qui est bien respectée avec les tuyaux qui rentrent dans ses muscles et son masque de catcheur. Il est d’ailleurs joué par le lutteur professionnel Jeep Swenson, décédé d’une crise cardiaque deux mois après la sortie du film. Tout cela est d’autant plus dommage que le film regorge de backgrounds sous-exploités ainsi que de thèmes sérieux comme la mort, le deuil et la trahison qui sont complètement renversés par le loufoque de la narration. Si les costumes des méchants arborent une certaine classe, Freeze est décrédibilisé par son manque total de sérieux et Poison Ivy est reléguée au rang d’une chaudasse qui impose une séduction à outrance au point de se faire recadrer par
Batgirl
elle-même (« Ton attitude compromet l’image de la femme ! »).
Car oui, c’est bel et bien
la nièce d’Alfred qui devient Batgirl, ce dernier connaissant vraisemblablement ses mensurations pour lui avoir conçu un costume,
occasion inespérée pour le réalisateur d’exposer quelques plans sur ses seins, ses fesses et même des talons hauts au cas où elle ne ferait pas assez féminine. Apparition inattendue et bienvenue si seulement elle avait été exploitée à sa juste valeur. Elle reste ainsi plus intéressante aux côtés d’Alfred, qui obtient enfin une certaine importance en se montrant malade voire mourant, mais sans que le scénario aille plus loin à ce niveau-là. Le thème de la mort est également effleuré avec la femme de Freeze, pour laquelle il verse une larme qui se gèle aussitôt
lorsqu’il apprend son soi-disant décès
, offrant ainsi une des rares scènes efficacement réalisées du film en plus de rendre le personnage plus humain, comme on pouvait déjà le voir lors de vidéos dévoilant leur passé. Le duo entre Freeze et Poison Ivy en ressort d’autant plus cohérent dans le sens où ils cultivent une haine farouche envers l’humanité au point de vouloir l’anéantir.
« - Aucun signe du bonhomme de neige. - Il a peut-être fondu. - Non, il doit hiberner. »
Un des points au plus grand potentiel est sans doute celui qui concerne la rivalité entre Batman et Robin, moment déterminant du comics qui aboutit à l’émancipation personnelle de ce dernier. Si son costume se rapproche d’ailleurs de celui de Nightwing, cette rivalité est profondément ridiculisée par l’ensorcellement de Poison Ivy, Batman ayant compris le piège de cette dernière mais Robin s’entêtant de penser qu’il est jaloux car elle préférerait l’embrasser lui. Tout ceci amène les deux héros à se chamailler bêtement pour régler leur psychodrame. Le film reste rentable, mais son succès commercial s’avère largement décevant. Tandis que la critique l’assassine de part en part, il reçoit neuf nominations aux Razzie Awards de 1998, ce qui amène Joel Schumacher à s’excuser près de vingt ans après sa sortie. L’écran final annonçait pourtant un troisième opus, finalement annulé par Warner vu le désastre causé. Prévu pour s’appeler Batman Triumphant, il devait faire intervenir Harley Quinn sous les traits de Courntey Love, ainsi que Nicolas Cage en Épouvantail, ce dernier créant des hallucinations du Joker en aspergeant Batman de son gaz. Schumacher aurait même aimé faire revenir tous les anciens acteurs pour le final, ce qui aurait demandé un budget pharaonique.