Les loueurs de 404 et de DS doivent se frotter les mains, ils sont assurés d'avoir du travail ces temps-ci grâce à la déferlante de biopics sur la production française. Un an après "Le Dernier gang" consacré au gang des postiches, six mois après "Sans arme, ni haine, ni violence" sur Spaggiari, une semaine après "Coluche", le premier des deux films de Jean-François Richet dédiés à l'ex-ennemi public n°1 sort sur les écrans, en attendant le deuxième volet le 19 novembre.
Première constatation : ce film ne présente pas les mêmes défauts que les biopics précédents, particulièrement la volonté de respecter à la fois la construction canonique propre au genre, et un souci de la reconstitution qui tourne à l'image d'Epinal.
La différence la plus évidente avec Piaf ou Coluche, c'est que finalement, ce qu'on a surtout retenu de la vie de Mesrine, c'est sa mort. Le reste, à part des photos d'un moustachu empâté, le souvenir d'évasions spectaculaires et d'un combat contre les Q.H.S., tout cela ne s'est pas inscrit dans la mémoire collective de la même façon que l'idylle de Piaf et de Cerdan ou que le lancement des Restos du Coeur. Par contre, la photo de la BMW criblée de balles Porte de Clignacourt et du corps ensanglanté affalé sur le volant ont marqué toute une génération, et c'est d'ailleurs par cet épisode que s'ouvre le film, le flash back de 1 h 40 commençant au moment où la bâche du camion se relève, dévoilant les policiers qui s'apprêtent à ouvrir le feu.
Ce premier opus porte sur le début de la "carrière" de Mesrine et s'arrête au moment de son épisode québecois. Il part de l'épisode fondateur, celui qui lui a fait dire dans L'Instinct de Mort : "On a armé ma main au nom de la Marseillaise, et cette main a pris goût à l'arme." : sa participation à la sale guerre en Algérie, à la torture et à l'élimination des fellaghas. Engagé volontaire pour racheter l'image d'un père collabo, ce n'est pas le boulot d'employé dans la dentelle que ce dernier lui propose qui peut le satisfaire, et quand il demande à son copain flambeur qui roule en Triumph "s'ils n'embauchent pas dans son boulot ?", on sait qu'il connait la réponse et la nature du travail en question.
La principale force du film, c'est l'absence de complaisance pour son héros. Si on comprend bien la fascination qu'il pouvait exercer par son aspect animal et sa capacité de séduction, on ne nous cache pas le versant sombre de sa personnalité, depuis son racisme forgé en Algérie et renforcé par sa fréquentation des cagoulards de l'O.A.S., jusqu'à la violence de sa colère qui culmine dans une scène quasi insoutenable avec Sofia. Prompt à évoquer le code d'honneur des bandits, Mesrine était aussi capable de se comporter comme le dernier des salauds, et cet aspect nous est montré crûment.
Parce qu'il est construit comme une suite de tableaux (la guerre d'Algérie, les premiers braquages, la réinsertion impossible après la prison, l'exil au Canada) "Mesrine : L'Instinct de mort" se présente comme un film de genres, avec un "s" : film de gangster à la Giovanni pour la partie française, avec le jeu des couleurs nocturnes et des néons, puis film de prisonniers nord-américain façon "Les Evadés", avec un incursion états-unienne du côté de "Sugarland Express" et une référence au conditionnement carcéral d'"Orange Mécanique", pour culminer avec l'ultra violence à la Peckinpah des scènes d'action québécoises, filmées avec une efficacité acquise par le détour holywoodien de Richet. Notons enfin l'utilisation fréquente de split screens très seventies.
La fluidité de ce découpage en séquences typées est garantie par un rythme nerveux, une énergie constante, et un recours bienvenu à l'ellipse. Malgré quelques clichés (la révolte contre la lâcheté du père, le gangster bon père de famille), le film de Jean-François Richet réussit progressivement à captiver le spectateur, l'explosivité de Mesrine rendant possible à tout moment un éclat.
Vincent Cassel met sa puissance et sa nervosité au service de son personnage sans tomber dans l'imitation ou la caricature ; Depardieu retrouve son personnage de "La Môme" dans une version dark, patron de cabaret et caïd du milieu, et son apparente bonhomie de pygmalion maffieux est démentie par la folie de son regard lors de l'exécution d'un proxénète.
Avec "Mesrine : L'Instinct de mort", Richet a réussi une réalisation à l'américaine sur un sujet très français, situé en permanence dans son contexte historique. Espérons que le deuxième volet présentera les mêmes qualités ; en tout cas, ce premier épisode donne envie de le voir.
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