Histoire classique d'amours désabusées, de solitudes et d'espoirs brisés, My Blueberry Nights trouve toute sa splendeur dans sa mise en scène s'accordant parfaitement à l'intrigue. Chez un autre cinéaste, on s'ennuierait ferme. Chez Wong Kar Wai, on est constamment émerveillés, surpris par l'audace et la pertinence d'une mise en scène dont on est pourtant familiers. Le travail visuel du cinéaste chinois pourrait passer pour de la gratuité, une sorte d'esbroufferie arty qui ferait passer le contenant avant le contenu. Mais il n'en est rien. La force de cette mise en scène légère, multipliant plans poseurs, accélérations brusques, ralentis contemplatifs, c'est justement qu'elle ne fait que démontrer la fragilité des sentiments et de l'existence. D'une manière générale, Wong travaille le cliché et la superficialité pour mieux s'immiscer à l'intérieur, en détruire les bases pour révéler de manière poétique sa vision de la vie et des relations humaines. D'accord le scénario de son film américain n'a rien de surprenant, mais il transcende ses stéréotypes en adoptant une forme qui ne cesse de s'accorder aux vicissitudes de l'histoire.
Devant la caméra d'un génie, la matérialisation du scénario gagne donc en intérêt. My Blueberry Nights est un film plus grave qu'il n'en a l'air, empreint de la même nostalgie qui hante tellement l'oeuvre de Wong Kar-Wai. On y parle d'amours rompues et du désespoir profond de voir l'être aimé s'éloigner de soi, de la distance immense qui sépare les individus quand bien même ils sont proches l'un de l'autre. En filmant les métros fugitifs de la ville ou les couchers de soleil en accéléré dans une grande étendue désertique, Wong Kar-Wai en dit énormément sur le caractère éphémère des sentiments et de la vie. Leur fragilité aussi, finalement. Film éminemment pessimiste donc, ce que le voyage initiatique d'Elizabeth ne fait que renforcer. Certes les rencontres qu'elle fait l'aideront à se construire, mais le film la montre toujours laissant derrière elle les personnes qu'elle a côtoyées. La tristesse ici provient de cette idée qu'il faut savoir quitter ceux qu'on aime, ou qui nous importent, pour grandir. Et quand le happy-end surgit, on se demande qui des bons sentiments ou du cynisme l'emportera. Fin ouverte à toutes les interprétations.
Je finis en évoquant le talent des comédiens, plus particulièrement celui de Norah Jones, dont on aimerait qu'elle lâche plus souvent le micro pour faire l'actrice ( non pas qu'elle chante mal... ). Jude Law semble libre comme l'air, et la beauté inouïe de Rachel Weisz est magnifiée par la manière dont Wong la regarde, qui fait d'elle le vrai personnage kar-waïen par excellence, tout en beauté, futilité, et gravité sous l'apparence légère qu'elle revêt. Elle est aussi très sensuelle, à l'image de cette mise en scène qui parvient à rendre érotique de la crème coulant sur un gâteau. Voilà ce paradoxe qui n'en est pas un, rendre consistant ce qui paraît léger, susciter l'intérêt à partir de la trivialité. Poétique au possible, et tout simplement magnifique.