"Welcome", cela veut dire bienvenue. Pourtant, chez les ch'tis, les centaines de sans-papiers qui affluent vers Calais pour tenter d'atteindre l'Eldorado supposé de l'autre côté de la Manche, ne sont pas vraiment les bienvenus depuis la fermeture du centre de Sangatte : tabassés par des policiers en maraude, refoulés des supermarchés par des vigiles, expédiés en 30 secondes par des juges méprisants qui enchaînent les décisions répressives en comparution directe.
"Welcome", c'est aussi ce qui est écrit sur le paillasson du voisin de palier de Simon, qui précipite le malheur en dénonçant le maître-nageur, coupable aux yeux de l'article L 622-1 d'aide à personne en situation irrégulière et passible de cinq ans de prison et de 30 000 euros d'amende. Dans cet océan d'indifférence, de lâcheté et d'abus de droit, quelques personnes réagissent en citoyens pour lesquels Liberté, Egalité, Fraternité signifie encore quelque chose. Parmi eux, Marion et l'homme qui l'accompagne, dont on devine qu'il est plus qu'un simple camarade.
Olivier Adam, co-sénariste du film, et auteur du livre "Je vais bien, ne t'en fais pas", avait choisi cet angle d'attaque pour parler de la situation des sans-papiers dans son roman "A l'Abri de rien", le récit d'une mère dépressive qui atterrit par hasard à une distribution de repas, et qui a été adapté à la télévision sous le titre "Maman est folle" avec Isabelle Carré dans le rôle principal (livre que je n'ai pas du tout aimé, mais là n'est pas le propos). Ici encore, c'est le hasard qui amène Simon à découvrir la réalité qui l'entoure et à franchir la ligne de l'illégalité. Le hasard, et la volonté de retrouver grâce aux yeux de Marion.
Ce choix de prendre comme héros un monsieur-tout-le-monde n'a rien de très original ; c'est le principe du "Vieil Homme et l'Enfant", ou de "Monsieur Batignole". Mais il s'avère très efficace, car le spectateur se voit placé dans la situation de n'importe quel citoyen de ce pays, et la découverte du droit d'exception qui frappe les sans-papiers et ceux qui les aident n'en prend que plus de force. Philippe Lioret cite Truffaut quand il disait qu'"il n'y a pas un grand film qui ne soit pas un grand documentaire". Cet aspect est particulièrement réussi, grâce à la précision des informations recueillies et reconstituées : les clandestins qui respirent la tête dans des sacs pour échapper aux détecteurs de CO2, ceux qui passent les frontières accrochés aux essieux des camions, les numéros écrits au marqueur sur les mains de ceux qui ont été arrêtés.
Et puis, il y a le visage donné au sans-papier, habituellement sans identité, juste une silhouette, parfois une nationalité. Ici, celui-ci a une histoire, une fiancée, un rêve d'avenir. Interprêté avec beaucoup de retenue et d'intensité par le jeune Firat Ayverdi, le personnage de Bilal est plus qu'un prétexte à la bonne conscience ; il partage le premier rôle avec Simon, et ce n'est pas un hasard si le film débute avec le coup de téléphone qu'il passe dans la famille de Mina.
Après "L'Equipier" et "Je vais bien, ne t'en fais pas", Philippe Lioret confirme sa maîtrise de la tension narrative, et sa capacité à susciter l'émotion sans avoir recours aux grosses ficelles du mélo (les premières notes de musique, du piano, apparaissent au bout d'une demi heure quand Bilal découvre sur la plage la ligne blanche des falaises anglaises). La façon dont il filme la traversée du jeune homme résume cette virtuosité : l'alternance de plans larges en plongée et de gros plans au ras de l'eau, l'opposition entre la fragilité du nageur et la masse du danger représenté par les tankers, le jeu des lumières et des teintes dominantes pour suggérer l'écoulement du temps.
Ma petite réserve ne se situe pas là où la polémique a éclaté, à savoir la comparaison avec la seconde guerre mondiale : elle est juste sous-entendue par certains détails (le marquage des clandestins, la délation, la comparaison implicite avec les Justes), et là réside justement la force du cinéma, suggérer plutôt que démontrer. Elle se trouve plutôt dans la balourdise scénaristique qui accompagne le personnage de Simon, symbolisée pour moi par le jeu autour de la bague, témoin bien voyant de ses errances. Cette insistance ("Pourquoi tu fais ça, Simon ?", demande Marion, des fois qu'on ait pas compris) constitue le seul bémol à un film qui pour le reste correspond bien à la démarche de son auteur, et qu'il résume ainsi : "Raconter des histoires pas bêtes à des spectateurs malins".
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