Roman de gare
Claude Lelouch n’a plus à faire ses preuves dans le monde du cinéma français ; pourtant c’est avec honte que j’avoue n’avoir vu aucun de ses films. Chose passée puisque j’ai pu récemment dégoter Roman de gare que je me suis empressé de visionner, non sans quelques anxiétés (serra-t-il trop intellectuel ?). Et bien non, « Roman de gare » n’est pas un film mollasson et chiadé à l’excès, ni même présomptueux et mentalement exubérant. C’est tout le contraire de cela : une œuvre d’une richesse impalpable, que l’on découvre avec émerveillement. Ce film est un véritable torrent de sentiments, un ficelage si fin de fragments d’émotions, de bribes d’existence, qu’il en devient vertigineux. Le suggéré l’emporte sur l’explicite et rapidement se tisse des liens très forts entre le spectateur et les différents protagonistes. Claude Lelouch est parvenu à instaurer une proximité entre la fiction qu’il met en scène et le spectateur assis devant son poste de télé ; L’approche très réaliste de cette histoire dramatique est touchante ne laisse personne indifférent ; il faut seulement lui laisser le temps de démarrer, de prendre ses marques. L’ambiance s’intensifie rapidement lorsque Puerre Laclos, nègre d’une romancière bourgeoise, se retrouve enrôlé en tant que « faux petit ami » d’Huguette, une jeune femme qui vient de se faire plaquer sur une aire d’autoroute. Les caractères antinomiques des deux individus vont s’entremêler et bouillonner dans ce chaudron d’amour, d’angoisses, de solitude. Lelouch jongle avec différents univers tel un savant expérimente tel ou tel de ses mixtures infernales ; On passe du très chic vignoble à l’air d’autoroute oppressante, puis l’on est projeté dans la France rurale profonde avant de retourner dans l’atmosphère friquée d’un yacht privé. Non vraiment, c’est cette diversité et cette richesse de tableau de France et d’ambiance qui caractérise premièrement la qualité de « Roman de Gare ». La puissance de ce film réside aussi dans le façonnement des protagonistes, au destin et aux sentiments croisés. Dominique Pinion campe avec génie Mr Laclos, ce nègre solitaire et peu commun, aigri, ainsi que magicien à ses heures perdues. Audrey Dana, la révélation féminine du film, interprété avec excellence Huguette, une jeune femme (prostituée) pommé sentimentalement, au caractère spécial mais regorgeant de vie, d’envies. Les seconds rôles sont délectables eux aussi (Fanny Ardant au jeu très théâtral, Zinedine Soualem très « cute » etc). Si c’est le duo Pinion-Dana qui porte le film dans sa plus belle splendeur, c’est aussi grâce aux situations murement réfléchies qui parsèment le film. Tantôt hilarantes, déstabilisantes, rageantes ou mélancoliques, les facettes multi-genre de « Roman de gare » s’articulent avec une cohérence naturelle et très touchante. Lelouch s’amuse même à jouer avec les intuitions du spectateur, comme au début à propos du pédophile tueur d’enfants. Le film n’est pas grave jusqu’à la moelle, loin de là, et plusieurs passages enchaînent les joies, le bonheur … toujours fugace.
Un mot supplémentaire sur les acteurs : Si vous êtes fan de Dominique Pinion, vous serez enchanter de le voir dans un autre registre qu’à son habitude, nettement moins comique et grimaçant (malgré « sa gueule » énorme inimitable). Il prouve là son talent d’acteur dans toute sa diversité, sa sensibilité.
Et puis enfin, remarquons au passage la mise en scène élégante et juste de « Roman de Gare ». L’adaptation du cadrage vis-à-vis du rythme des scènes, souvent latentes, est superbement faite ; Lelouch maîtrise impeccablement son domaine technique, c’est indéniable, et cela ne fait que renforcer la forte charge affective de cette histoire d’égarement, d’amour et de vengeance. « Roman de Gare » est un film dégageant énormément de charme, ce qui en fait en somme une pure réussite. Délicate et évanescente, tel un souvenir froissé.