Spécialiste des coups médiatiques (il avait offert leurs places à 45 000 spectateurs venus voir "Les Parisiens", perdant ainsi un million d'euros), Claude Lelouch a tourné "Roman de Gare" sous le pseudonyme de son prof de tennis, invoquant Emile Ajar et prétextant que s'il avait signé ce film, la critique l'aurait assassiné avant même de l'avoir vu. Curieuse argumentation, puisqu'il a révélé la supercherie bien avant sa présentation à Cannes (Romain Gary avait attendu d'obtenir le Goncourt pour dévoiler sa véritable identité), et surtout parce qu'au bout de trois minutes, spécialement après avoir vu Les Films 13 au générique, le plus béotien des critiques aurait reconnu la patte de Lelouch.
Car "Roman de Gare" est indubitablement un Lelouch, et plutôt un bon Lelouch. En limitant l'intrigue à trois personnages principaux, et surtout en évitant la naïveté prétentieuse de ses fresques se targant de résumer l'histoire de l'humanité par le télescopage de Jésus et de Marie Sarah, il retrouve l'efficacité narrative de "L'Aventure c'est l'Aventure" ou de "La Bonne Année". On a d'ailleurs l'impression que rien n'a bougé depuis ces années 70, et dans "Roman de Gare", on continue à s'évader avec un drap, les programmes d'Autoroute FM sont coupés par la lecture de dépêches, et les adolescentes rebelles chantent même du Bécaud. Quant à la ferme de la mère d'Huguette, on dirait une salle de feu le Musée des Arts et Traditions Populaires.
Le spectateur peut donc facilement reconnaître le style Lelouch : décalage entre le son off et l'image, caméra mobile, qu'elle soit portée à l'épaule (même si la caméra confirme sa sédentarisation des derniers films) ou fonçant au ras du bitume, chanson ritournelle (ici, hélas, M. 100 000 volts), appel à des potes des médias pour renforcer l'effet de réalisme (Serge Moati, mauvais comme un cochon, et Bernard Werber, heureusement muet - Houellebecq n'a d'ailleurs rien inventé), aphorismes patauds et volonté de mettre en valeur les acteurs.
Dominique Pinon obtient enfin un premier rôle, et il s'en sort plutôt bien, de même qu'Audrey Dana, pas toujours aidée par des dialogues dignes d'une séance d'impro à la MJC sur le thème "Pourquoi la vie ?". Fanny Ardant, version féminine de Sulitzer, nègre compris, prend visiblement plaisir à camper cette executive woman hitchcockienne, qui change de couleur de cheveux aussi souvent que Kim Novak dans "Vertigo".
Malgré ses grosses ficelles et ses fausses pistes pévisibles, le film vaut par son scénario habile bâti sur le thème récurent de l'identité trompeuse, et par un indiscutable savoir-filmer, depuis le huis-clos de la station d'autoroute jusqu'à l'escalier du Quai des Orfèvres, hommage à celui tant de fois cité par Lelouch de "Quand passent les Cigognes". Film seventies avec des téléphones portables et des Citroën C6, "Roman de Gare" se laisse regarder sans déplaisir, avec le sentiment étrange et un peu honteux de retrouver une vieille relation qu'on avait depuis longtemps rayé de son carnet d'adresses.