Erich von Stroheim s'amuse à détourner une opérette gentillette vaudevillesque pour la maltraiter avec des personnages marqués au fer de la rancune comme cet infirme qui parviendra à se venger pour avoir été désagréablement éconduit ; marqué au fer de l’obsession sexuelle comme le prince héritier Danilo, qui, au début du récit, est un prédateur sexuel sans scrupule ; marqué au fer de la dégénérescence sadique comme le cousin Mirko, déplaisant et déloyal ; marqué au fer du mépris comme tous ceux qui fourmillent dans l’environnement royal. Quant à Sally O’Hara, roturière-danseuse de son état, il finit par la jeter aux bras d’un cacochyme riche et infirme, donnant ainsi à cette jeune fille le statut peu reluisant d’opportuniste et de veuve joyeuse !
On est à mille lieux de l’opérette de Franz Lehar, légère et comique.
Erich von Stroheim ne fait pas dans la dentelle, celle qui enchante les regards, il puise dans l’âme humaine, âme primaire, sombre, faite d'impuretés, détestable, déstabilisante et instable.
« Instable » parce que l’âme humaine peut être aussi source d’amour sincère. Seulement, Erich von Stroheim veut que cet amour sincère traverse des obstacles, il lui faut de la souffrance, des larmes, du sang pour qu’il s’accomplisse.
Si le style expressif correspond à l’époque du muet, et encore, il n’est pas trop appuyé, « La veuve joyeuse » est tout de même gratifié d’une mise en scène qui a le bonheur de traverser les âges.
Et malgré sa durée longue, il est vrai qu’Erich von Stroheim est gourmand en durées longues, son film est captivant tant il flatte l’oeil moderne qui ne trouve pratiquement rien à redire pour un film daté de 1925.