Abbas Fahdel explique les raisons qui l'ont amené à s'intéresser au sort des Arabes des Marais : "C'est parce que justement leur sort n'intéresse pas grand monde. Quand Saddam Hussein a lancé sa compagne d'extermination à leur encontre, personne ou presque s'en est ému, pas plus en Irak qu'à l'étranger. L'indifférence des non-Irakiens peut s'expliquer par le fait qu'ils ignorent l'existence même des Arabes des Marais. Pour ce qui est des Irakiens, beaucoup d'entre eux méprisent les habitants des marais au point d'utiliser le mot "maadan" comme une insulte synonyme d'arriéré, sauvage. Saddam Hussein lui-même les considérait avec mépris, allant jusqu'à les qualifier publiquement de menteurs et de voleurs sans morale. En fait, l'extrême pauvreté des Maadans et leur mode de vie primitif, inchangé depuis des siècles leur ont valu d'être placés au plus bas de l'échelle sociale en Irak."
L'action de L'Aube du monde se déroule dans les marécages du delta du Tigre et de l'Euphrate, au sud de l'Irak. "Cette région, située à cheval sur la frontière avec l'Iran, est réputée pour être le pays du mythique Jardin d'Eden, explique Abbas Fahdel. C'est là que vivent les tribus des Maadans, appelés aussi les Arabes des marais. C'est là aussi que se sont réfugiés les vaincus des batailles qui ont marqué l'histoire de l'Irak, et plus récemment les déserteurs de la guerre Iran-Irak et les survivants de l'insurrection de 1991 contre Saddam Hussein. Pour faire disparaitre de la carte ce sanctuaire difficile à contrôler, Saddam Hussein avait ordonné d'assécher les marais, provoquant un désastre écologique et humain majeur."
Abbas Fahdel expose les conditions d'existence des Arabes des marais aujourd'hui : "Après la chute de Saddam Hussein, quelques dizaines de milliers d'entre eux, qui avaient fui en Iran, étaient revenus dans les marais. Ils ont même fait sauter à la dynamite les barrages dans l'espoir de ramener l'eau et donc la vie dans leurs marais asséchés. Mais je crains que leur culture ne soit définitivement condamnée. En exil, leurs enfants ont découvert l'électricité, la télévision, le téléphone portable et autres gadgets de la civilisation urbaine, et je les vois mal s'adapter au mode de vie primitif dans les marais. En fait, Saddam Hussein et la guerre n'ont fait qu'accélérer un processus commencé avec la découverte du pétrole dans la région. Il y a un peu plus d'un demi-siècle, quand l'explorateur et ethnologue anglais Wilfred Thesiger était venu vivre parmi les Arabes des Marais, il avait pressenti la fin de leur civilisation."
C'est sur le lac Manzala, près de Port-Saïd, qu'Abbas Fahdel et son équipe ont construit une île artificielle et bâti un village irakien. "Il a fallu aussi construire une flottille de petites embarcations irakiennes dont l'équivalent n'existe pas en Egypte, explique Abbas Fahdel. Il y a aussi cet avion à moitié englouti dans la baie du village et dont on ne sait s'il est irakien ou américain ! Cet avion ne correspond à aucun modèle existant. J'avais demandé au chef-décorateur de concevoir un objet à la Miyazaki, c'est-à-dire un objet plus poétique que réaliste. Idem pour la cellule de prison dans laquelle le héros du film se trouve enfermé et que nous avons construite dans la cour d'un immeuble, au Caire."
Bien que l'action du film se déroule en Irak, Abbas Fahdel a fait le choix de ne tourner qu'en Egypte pour des raisons de sécurité mais également pour un autre motif. "Le film décrit les marais du sud de l'Irak tels qu'ils étaient avant que Saddam Hussein ne décide de les assécher, explique Abbas Fahdel. J'ai fait des repérages du côté iranien des marais, et même là on voit les conséquences des "travaux" des ingénieurs de Saddam Hussein. La surface des eaux a beaucoup rétrécit et les parties intactes sont interdites d'accès par l'armée iranienne sous prétexte qu'elles sont encore minées (depuis la guerre Iran-Irak). Vu l'impossibilité de tourner en Irak et la difficulté de tourner en Iran, je me suis mis à chercher ailleurs et fini par choisir de tourner en Egypte, dans le lac Manzala, près de Port-Saïd."
Les acteurs, qui ne sont pas irakiens d'origine, ont dû apprendre la langue pour les besoins du film. "Il y avait trois coachs irakiens qui travaillaient en permanence avec les acteurs, explique Abbas Fahdel. Ceux-ci devaient apprendre à parler l'Irakien parfaitement. C'était indispensable pour la crédibilité du film. Cela dit, comme je ne suis pas friand de films bavards, je n'ai gardé que les dialogues qui me semblait absolument nécessaire pour la compréhension de l'histoire."
L'un des personnages du film s'appelle Hadji Noh, autrement dit pèlerin Noé. On peut y voir une référence au patriarche biblique, "personnage né en Mésopotamie bien avant la Bible, puisqu'on le trouve mentionné pour la première fois dans le Poème du Supersage, qui date du XVIIIe siècle av. J.-C."
Depuis sa présentation en première mondiale au Festival international de Pusan, L'Aube du monde a tourné dans les festivals et remporté de nombreuses récompenses, dont le Grand prix au Gulf film festival, les Prix du public et du jury NETPAC au Festival international du film asiatique de Vesoul, le Trophée du premier scénario, décerné par le CNC, et le Grand prix du meilleur scénariste, décerné sous le parrainage d'Arte, France Culture et le CNC.