Le récit, simple, est d’une très grande richesse. L’auteur Abbas Fahdel, qui signe ici son premier long métrage, réussit à aborder nombre de thèmes fondamentaux sur une durée aussi courte, à peine 90 minutes, dans un langage cinématographique parfaitement maîtrisé. Le rythme, lent, paisible, rend bien compte de la vie de cette communauté dans ce marais en opposition avec la violence du régime de Saddam Hussein, la guerre qui se trouve à l’extérieur, mais dont on ressent chaque soubresaut sur les visages, sur ces personnages déchirés et déchirants. Avec un budget réduit, il parvient comme un maître - on pense à Fuller, notamment dans le mouvement de grue final - à rendre compte de ces évènements que je suppose, tout ou en partie, autobiographiques. Il y a des idées fantastiques, en particulier du point de vue des décors comme celle de la carcasse d’avion plantée dans les marais. Le film est un magnifique témoignage de ce pays anéanti qu’est l’Irak, berceau de la civilisation. D’ailleurs je me suis demandé si le titre n’y faisait pas référence. Ce pays « des deux fleuves » a été en quelque sorte l’aube du monde… puisque l’écriture y est née.
Beaucoup de sensibilité également dans la mise en scène, très inspirée du cinéma japonais… les gestes, les regards, les cadrages. Superbe lumière aussi. La transmission de cette histoire d’amour à travers le jeune soldat disparu est une bien belle idée de cinéma. La dictature a anéanti tout un pays, mais en même temps l’espoir et la notion de famille continuent à travers la fin, très positive. On aurait pu justement s’attendre à encore plus de douleur avec un tel récit, et le film ouvre une porte vers l'avenir… même si l’on sait que les choses ont continué de se disloquer après la disparition de Saddam. Un dialogue a retenu toute mon attention « Dieu aime ceux qui meurent jeunes » C’est une phrase très troublante et mystérieuse, elle rend hommage à tous les enfants morts de leurs combats.
L’interprétation sans faille de Hafsia Herzi est à la hauteur de toutes les attentes, ainsi que celle de Karim Saleh avec une mention particulière pour Sayed Ragab que je trouve exceptionnel. Un grand acteur dont on peut tout lire sur le visage. Il a de moments de silence d’une grande profondeur, notamment dans la scène où il dit qu’il fait tout dans le village. Il y a également un grand respect de la femme dans ce film, des femmes. La scène ou Riad vient voir Zahra et sa mère et que le portrait de Mastour tombe et particulièrement forte. On prend bien conscience aussi du poids et des responsabilités qu’elles ont sur les épaules dans cette société. Une autre idée, très belle aussi, est celle de la veste de Mastour que Riad donne au jeune garçon. A travers lui c’est aussi tout l’avenir d’un peuple qui se dessine.
Je crois que le grand public ne demande qu’à voir ce genre de films, vraiment trop peu « promus » par les réseaux de distribution, et on ne peut que le regretter surtout quand on voit le nombre invraisemblable de bêtises qui éclosent chaque jour un peu plus sur les écrans du monde.