Ces dernières années, les films mettant en scène des acteurs dans leur propre rôle et jouant sur l'ambiguité entre la ficdtion et leur propre réalité se sont développés, de "Dans la Peau de John Malkovitch" à "Jean-Philippe". Avec Jean-Claude Van Damme, se pose la question de savoir comment présenter une approche décalée d'un personnage intrinséquement aussi décalé. La force du film réside justement dans la réponse à cette interrogation : s'il y a bien des personnages complètement siphonnés, et en quantité, tant du côté des flics que des voyous, JCVD semble être paradoxalement le plus sensé.
Une des scènes-clé du film nous montre l'acteur cloîtré avec les otages en train de regarder la télévision qui présente un best-off de ses jean-claude-van-dammeries, de "1+1 ça peut faire 1, ou 11" à "Tout est neutral" en passant par ses "aware", et on lit sur son visage combien le passage en boucle de ses aphorismes dans les bêtisiers a pu le blesser. Pourtant, le tournage de cette scène n'a pas été facile, comme le raconte Mabrouk El Mechri : "Pendant la première prise, il ne se passait rien sur son visage. On s’est isolés et je lui ai demandé où était le problème. Il m’a répondu : «Il faut que tu me dises exactement ce que tu veux, parce que moi, je suis blindé. J’ai tellement vu et revu ces scènes qui ont fait du mal à ma famille, que je ne sais pas quoi faire…» Il a fallu le mettre face à lui-même, être frontal et concret."
Des cinglés, donc, il y en a toute une galerie : Zinedine Soualem en braqueur psychopathe cousin de Anton Chigurh, fantaisie capilaire incluse, odieux à souhait ; Karim Belkhadra en preneur d'otages fan de base et suceptible ; François Damiens, le preneur de son de "Cowboy", en commissaire à la psychologie sommaire en butte à la guerre des police ; sans oublier une chauffeuse de taxi bavarde, la mère lacrymale de Jean-Claude Van Damme ou le chef manipulateur du GIGN belge.
Le danger d'un tel projet est de ne pas savoir dépasser l'idée de départ, et de l'étirer pendant 90 minutes. Heureusement, Mabrouk El Mehdi a su éviter cet écueil, et à la mise en abyme d'un JCVD en proie au doute s'ajoute une intrigue qui rappelle le chef-d'oeuvre de Sydney Lumet, "Un Après-midi de Chien". Il fait appel à une narration maline, avec une construction basée sur des flash-backs permettant une variation des points de vue qui nous montre les mêmes événements perçus différemment selon que l'on soit à l'extérieur ou à l'intérieur de la poste de Schaerbeek .
"JCVD" se veut un film de son temps, avec une photographie sépia, un recours systématique à la caméra portée, un montage syncopé et une musique parfois envahissante. Mais ces diverses afféteries peuvent trouver une justification dans leur résonance avec l'emphase baroque du héros, dont il se débarasse justement en se colletant à la dure réalité du fait divers, et qui rend son curieux monologue face à la caméra poignant. Acteur et personnage, Jean-Claude Van Damme montre une finesse insoupçonnée, et la descente de son piédestal clinquant se révèle un coup gagnant.
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