Très bon film de Michel Hazanavicius (connu pour les récents OSS 117), que je qualifierais immédiatement d'OCNI, objet cinématographique non identifié. Pour la petite histoire, Hazanavicius et Mezerette se voient offrir le droit, en 93 et pour les 70 ans de la Warner, de reprendre les images de la plupart des films de la société mythique de production et de diffusion. Et là, énorme rendu parodique, de reprise des images doublage selon une nouvelle trame narrative ou scénaristique, pompée à mort (mais absolument assumé comme tel) sur le scénario du Citizen Kane, puisque le film met en scène une enquête journalistique autour des derniers mots de George Abitbol, l'homme le plus classe du monde, non pas Rosebud, mais "monde de merde"... Dans l'ensemble ça donne quelque chose d'assez paranormal : on voit se succéder, sur le mince fil d'une trame absolument inconsistante et dérisoire (mais qu'a donc voulu dire l'homme le plus classe du monde dans ces quelques mots : "monde de merde" ?), tout un tas de scènes, constituées, reconstituées, reprisées, manipulées, toutes aussi absurdes les unes que les autres, mêlant aussi bien Robert Redford, Dustin Hoffman et Paul Newman en journalistes ratés, qu'Henry Fonda, Burt Lancaster, Clark Gable, Orson Welles, John Wayne, James Stewart, Elvis Presley ou Franck Sinatra... En somme, le meilleur casting de l'histoire du cinéma pour de l'absurde parodique, du détournement hilarant et des phrases cultes pour les mille prochaines générations...
Parce que la force du film est là : Hazanavicius arrive à pondre des répliques super contextuelles, c'est-à-dire réutilisables à l'infini dans toutes les situations imaginables de la vie quotidienne (une semaine de ski à reprendre et répéter les phrases cultes m'en a entièrement convaincu... absolument hallucinant) ; comme si le fait de détourner le sens original des scènes de la Warner avait définitivement désenchanté l'aura du modèle, de l'oeuvre cinématographique, incitant par conséquent à la reprise infinie et recontextualisée de cette parodie en mode patchwork ou arlequinisme bigarré. Ce genre de film fonctionne pour cette même raison sur une sorte de "lecture de groupe" absolument effrayante et singulièrement contagieuse : il offre une sorte de vocabulaire commun, de langage partagé, qui incite par je ne sais quelle magie à connaître par coeur le plus de répliques possibles, et les faire connaître au maximum de gens de son entourage pour parvenir à une surenchère parodique permanente et indéfinie... Ca, je dois confesser que c'est particulièrement envoûtant... Bref, je ne résiste pas à balancer quelques-unes des phrases qui rappelleront sûrement de grosses poilades à ceux qui ont maté le film : "le train de tes injures roule sur les rails de mon indifférence", "tu pipotes pas un peu, toi ?", "un jour, j'ai connu un mec de droite qui avait dix fois plus la classe", "tu serais pas vosgien toi ?" "vive la révolution d'octobre !", "on a lutté contre des animaux préhistoriques partouseurs de droite" "tu fais un amalgame entre la coquetterie et la classe"...
Bon ce genre de film, ça ne se raconte pas, ça se mate, et ça se réinscrit dans les discours quotidiens... Pour le délire d'une semaine dessus (thanks Marco pour le chalet et le film !), loin d'être fini, je mets 16/20. Et ouais. Quelle classe, ce George...
Et bien sûr, toutes les critiques sur le Tching's cine :
http://tchingscine.over-blog.com/