Tobe Hooper n’a en pas fini avec son road trip-e glauque et macabre dans le sud profond de l’Amérique, poubelle sociale ou sont jetés les exclus, les sans grades, et avec eux les derniers fantasmes d’une grande nation intouchable, pourtant encore très loin de l’électrochoc d’un certain 11 septembre…. Une visite acide, corrosive, ironique, qui sonne comme un cinglant réquisitoire sur les stigmates profonds et incurables creusés par les scandales du Watergate, la crise pétrolière, le conflit du Viêt-Nam, qui mèneront à l’inexorable déclin de l’American way of life…
Un portrait dérangeant et malsain entamé en 1974 avec son légendaire massacre texan ou la catharsis passe par cette famille de dégénérés au chômage, symbolisant les mœurs et manières primitives de cette Amérique rurale marginalisée. A travers ce boucher psychopathe et ces jeunes citadins aussi insouciants que naïfs, Hooper va surtout, derrière ce vulgaire masque de peau humaine grossièrement rapiécé, donner un nouveau visage à l’horreur moderne.
Trois ans plus tard, avec son " Crocodile de la mort " il délaisse l’atmosphère poisseuse et étouffante de l’été texan et son soleil écrasant, pour l’ambiance nocturne et humide d’un hôtel en plein marais. Avec son tenancier psychotique, tiraillé par des névroses compulsives et meurtrières liées à son statut de vétéran du Vietnam, même si la dénonciation parait plus « nuancée » (seuls des « détails » laissent supposer son passé), Hooper écorne encore un peu plus le fantasme du rêve américain, livrant pour l’occasion une sorte de version négative de son " Texas Chainsaw massacre".
A présent, le texan va nous proposer une sortie en apparence plus distrayante, dans l’univers des funfairs 80’s, ces fameuses fêtes foraines qui parcouraient le pays. Pour son troisième long métrage Tobe Hooper va en profiter pour étaler cet indéfectible amour qu’il porte à l’horror movie, à commencer par Hitchcock qu’il n’a cessé de suggérer dans ses deux précédents films. Ici il va reproduire la fameuse douche de " Psychose ", avec un savoureux second degré, une scène pastichée qui égratigne au passage celle du "Halloween" de Carpenter (1978) avec le gamin dont le meurtre fratricide est filmé en plan suggestif à travers un masque de clown. Le texan annonce la couleur : il va référencer, mais sa peinture au vitriol aura le vernis de l’humour noir!
La chambre du gamin et ce " faux-meurtre " exalte en une seule séquence tout un pan de sa culture Genreuse avec également cette affiche du Dracula avec Lugosi, celles de Karloff en créature de Frankenstein, de Lon Chaney en Wolf man, des photos de "The bride", des poupées et tout un tas d’accessoires de tortures cinéphiles, jusqu’à de grosses araignées.
L’intrigue va alors se déplacer dans ce parc d'attractions ou quatre ados viennent pour faire le plein de sensations, l’espace d’une soirée qu’ils vont vouloir prolonger jusqu’à l’aube…
Tobe Hooper nous présente une fête comme on n’en voit plus, le Carnival, héritée du légendaire cirque Barnum, l’attraction principale résidant dans un " freak alive " ici en l’occurrence « animal » avec des vaches à 2 têtes ou avec un bec de lièvre. A la manière de Browning dans son cultissime " Freaks, la foire aux monstres" (1932), on sent un certain souci de réalisme, car au-delà des bestiaux "bien réels" tous les personnages que l’on croise semblent incroyablement sortis de notre imaginaire de petit garçon (pour ceux qui ont eu la chance comme moi de connaitre- note d’un « vieux »- ), errant entre les stands aux grosses ampoules multicolores et les caravanes a gros lettrages.
Avec les manèges indissociables de cette imagerie (la chenille, les auto- tamponneuses, le carrousel, la pieuvre, les tasses, les concours de force pour hercules du dimanche, les buvettes…) c’est toute une esthétique vintage dans laquelle on (ne) voit (pas que) des nains partout, mais également une liseuse de bonne aventure au nom folklorique de Madame Zena, mi gitane, mi vieille, mi ivrogne (150 % flippante !), un Marko-illusionniste-the magnificent, mettant en scène la " véritable" histoire de dracula avec un "faux" empalement, en passant par un spectacle d’effeuillage burlesque interdit aux mineurs, des stripteases offerts par de grassouillettes ersatz de Bettie Page à un parterre de ploucs bourrés comme des coins et excités comme des fauves!
Car Hooper n’oublie pas de rouler sur les traces du redneck movie dans la lignée de ses deux précédents " Massacres ", avec cette scène de liesse péquenauds et ce vieux pervers surpris par les ados probablement en train de se masturber a l’extérieur du chapiteau! Une mythologie omniprésente depuis les paroles des parents de Amy (Elizabeth Berridge), la jeune fille qui après avoir "survécu " a son petit frère doit aller à la fête avec le bogosse local "tu n’aurais pas pu choisir autre chose qu’un aide pompiste ( la fameuse pompe à essence) ?", jusqu’à cet ivrogne errant dans l’indifférence au milieu de la foule des " bons citadins ", mais aussi avec cette veille peau aux traits grossis de sorcière proférant aux jeunes filles des avertissements sur un danger dont forcément elles se tamponnent royalement. Sans oublier l’aspect de celui qui sera l’attraction de ce nouveau massacre, sorte de créature difforme dont l’existence d’un frère dans un bocal de formol ( !) laisse peu de doute sur l’" acte de procréation ". Consanguinité, pompe à essence, avertissements, autochtones bourrus et alcoolisés, opposition " urbains / culs-terreux ", frustrations sexuelles, viols, mœurs primaires…les clichés de la redneckesploitation sont bien toujours présents !
C’est le parcours scénique du train fantôme, ce fameux funhouse, témoin de nos premiers actes « d’héroïsme » ou au péril de notre vie on s’engouffrait dans l’espoir d’avoir un petit bisou de la voisine de wagon en échange de notre protection (je me souviens avoir été « héroïque », mais j’ai oublié la bisouteuse…) qui sera le décor du drame (sinon, ben, autant trouver un autre titre…).
Nos quatre tourtereaux décident d’y passer la nuit, histoire de profiter d’autre chose qu’un « petit bisou ». Et du coup ils vont assister au meurtre de la voyante, pour l’occasion pas venue pour lire dans les boules, en tout cas pas de cristal, la consanguinité ayant ses limites…Avec ce monstre (celui dont le frère dort dans un bocal) Tobe Hooper mixe ses personnages de Leatherface/ boucher et de Judd/tenancier pour accoucher d’une sorte de créature hybride entre freak de foire et redneck frustré. Avec au passage un masque très réussi( beau travail de Rick Baker) a la laideur refoulante.
La scène de confrontation entre le père et son fils dans sa violence renvoie à la fois à la folie de TCM et avec un angle "tragédie" proche de « Elephant man », avec ce pauvre garçon, caché, rejeté, qui n’a pas à demander à venir au monde, en tout cas pas « comme ça »! Un passage étonnant par la case émotion qui opère une pause subtile avant les massacres…car une fois le masque tombé, c’est « le boucher » qui va se dévoiler.
Lancé à la poursuite des témoins dans les couloirs , Hooper va remarquablement s’approprier les reliefs d’un décor statique en variant les filtres, jouant magistralement avec la lumière et les ombres, avec des flashs psychédéliques sur ces gueules monstrueuses servant de passages, aux clairs obscurs sur cette effrayante galerie de marionnettes, en passant par un noir/blanc baroque très Universalien. La dernière partie sonnant comme un hommage à ce studio avec ces éclairs électriques au milieu d’une machinerie renvoyant a un certain laboratoire expérimental…
Dans son « Eaten alive », il avait déjà démontré qu’il pouvait s’accommoder des contraintes du huis clos. Mais avec un plus grand terrain de jeu et un budget plus important, il va nous emporter bien plus loin dans les arcanes du cauchemar.
Moins putassier que son « The Tewas chainsaw massacre », moins macabre que son « Crocodile de la mort », Tobe Hooper nous offre une œuvre moins hystérique, mais mieux maitrisée, esthétiquement bluffant, sans se départir d’un certain second degré, jouant habilement avec l’imagerie des Carnival, entre burlesque, Grand-Guignol et freaks.
En pur produit d’exploitation qui s’assume, son « the funhouse » clôture son sinistre triptyque survival/ slasher, en mode péquenaud movie. Et signe assurément sa dernière œuvre puissamment « originale », confirmée par ce superbe plan séquence final sur le parc, ou les forains s’activent à démonter les manèges, avec le sdf ivrogne, la vieille dame « avertisseuse », les tentes rouges et blanches, qui dans ce petit matin calme sonne comme le chant du cygne de la carrière de Hooper, qui en dehors d’un nouveau passage chez les Sawyer, ne confirmera pas plus loin ses talents…d’illusionniste. La fête est bien finie, brutalement mais brillamment.