Il était évidemment facile de craindre le pire : en s’attaquant au genre très américain du teen movie, le réalisateur aurait pu tomber dans le piège du film banal, cliché, superficiel, et bien gras et lourdingue. Que nenni, il n’en est rien. Remisez vos préjugés au vestiaire : "Hellphone" est un trip aussi surprenant que secoué dans les pop corn movies des années 1980, ultra référentiel et franchement divertissant. Jean-Baptiste Maunier, déniaisé depuis ses vocalises dans "Les Choristes", incarne Sid, un ado bien de son temps qui aime le skate, le rock, son meilleur pote Pierre et, surtout, la sublime Angie, la bombe de son lycée. Évidemment, elle ne le remarque même pas, trop occupée à faire du shopping avec ses deux poufs de copines ou parader au bras de Virgile, le playboy à mèche. Pour la séduire, Sid fait l’acquisition d’un téléphone portable dans un bazar chinois, faute de moyens. Baptisé Hellphone, l’appareil va révéler d’étranges pouvoirs, et une relation passionnelle va se nouer entre l’adolescent et son mobile. Avec "Hellphone", James Huth réussit là où les (rares) autres ont échoué. Bourré de références, son film les exploite avec malice, invitant au passage les trentenaires d’aujourd’hui à un tour de train fantôme au pays des films pop-corn de leur jeunesse. Au passage, ils reconnaîtront des clins d’œil très appuyés à "Christine" (John Carpenter, 1984), "Gremlins" (Joe Dante, 1984), "Retour vers le futur" (Robert Zemeckis, 1985) ou encore "La Folle Journée de Ferris Bueller" (John Hugues, 1986), autant de fantaisies dont le charme tenait en même temps à la capacité à créer du spectacle en détournant des objets ou des mythes populaires et à séduire les plus jeunes autant que leurs parents grâce à plusieurs niveaux de lecture (le plus intéressant restant le commentaire, tantôt corrosif, tantôt désabusé, de l’Amérique reaganienne). À son niveau, James Huth relève le défi : à partir d’un objet, le téléphone portable, devenu phénomène sociologique autant qu’accessoire de mode et par extension, symbole très fort d’appartenance à une classe sociale, le réalisateur ne se gêne pas pour tirer sur tout ce qui l’agace. Ce n’est pas pour rien que l’action se déroule en plein cœur de Paris, dans les couloirs d’un lycée qui ressemble très fort au huppé Henri IV : Sid est un anti-héros fauché et sans portable qui doit composer avec les crétins hyper-lookés (les codes vestimentaires sont étudiés de manière très crédible) et over-friqués de l’établissement. La mère de Sid est une ancienne divorcée très sympathique dont le rêve ultime est de se payer un voyage à Cuba; son père, qui restera hors champ, est parti avec un autre homme. Les insupportables petits bourgeois qui ont pris Sid en grippe feront évidemment les frais de la fureur du Hellphone. Malin, James Huth ne stigmatise pas pour autant l’argent ou la réussite sociale : le meilleur ami de Sid, Pierre, est issu d’une famille riche comme Crésus, et la belle Angie habite dans une maison d’architecte à faire pâlir les magazines de décoration. Mais comme dans tout conte de fées moderne, peu importe le statut social : à la fin, "the good guy gets the girl" s'applique. Tout comme ses pairs américains, James Huth a aussi l’excellente idée d’ancrer son récit dans un contexte familier, immédiatement identifiable, s’offrant ainsi une base suffisamment réaliste pour oser les délires les plus fous. Nos héros traversent un Paris circonscrit aux bords de Seine, à Notre-Dame, au Panthéon, aux rues du quartier Latin, aux voies sur berges et même aux cinémas Action, dans lequel l’insertion de décors américains très cinégéniques (une boutique de skate, un bazar chinois tout droit sorti de Chinatown et de "Gremlins", un fast-food) peut se voir comme une métaphore : celle de l’intrusion du cinéma de genre, une culture a priori américaine pleine de couleurs et gentiment vulgaire, dans un patrimoine français officiel, un brin figé. Évidemment, pour ce qui est des dialogues, James Huth ne cherche pas à faire dans la littérature. Cependant le réalisateur et ses co-scénaristes alignent les répliques qui font mouche avec une connaissance accrue des codes du langage adolescent. Le rire est gras et l’humour potache mais le cinéaste assume, aidé il est vrai par le débit mitraillette de tous les excellents jeunes comédiens (mention spéciale à Benjamin Jungers dans le rôle de Pierre). De même, les nombreux effets spéciaux du film sont parfaitement réussis, en premier lieu le magnifique design de ce fameux téléphone portable… Sous ses apparences de teen comedy clichée et branchée, "Hellphone" se révèle rapidement comme un pur délire sous acide dont les quelques excès fatigants (apparition poussive de Bruno Salomone, visuel agressif rappelant parfois les dérives de Jean-Marie Poiré) se retrouvent largement compensés par un dernier acte sidérant de cruauté où les meurtres s’enchaînent à vitesse grand V, effets gores détonnant à l’appui ! Oui, vous avez bien lu : "Hellphone" est un film gore, avec de vraies morts bien sadiques. Le final y va même de sa petite citation aux films de zombies enragés, citation par ailleurs parfaitement intégrée à la thématique du scénario puisqu’il s’agit pour le réalisateur de dénoncer le culte du téléphone portable qui abrutit totalement les adolescents d’aujourd’hui. Avoir le dernier objet à la mode : voilà le seul moyen pour les jeunes de se démarquer de la masse et c’est précisément autour de ce problème que s’articulent les enjeux du script. Ainsi, pour séduire la fille de ses rêves, le héros Sid ne voit pas d’autre alternative que de dénicher LE portable qui le distinguera de la masse. Au fil des événements, ce lycéen fan de skate et d’AC/DC se laissera vampiriser par l’objet, reniant ses propres valeurs pour s’adonner à la frime de pacotille. Le postulat fantastique (le portable est démoniaque et envoûte les interlocuteurs) ne sert finalement qu’à montrer comment la génération SMS peut désormais se cacher derrière un numéro (ou un pseudo Internet) pour laisser exprimer tout ce qu’elle n’ose pas dire en face (voir comment le sexe se retrouve désincarné et violent par texto). On comprend alors mieux pourquoi James Huth a érigé tous ses protagonistes au rang de caricatures outrancières, comme s’il contemplait avec beaucoup plus de lucidité qu’on ne le croit un monde obsédé par le paraître (on est proche en cela de la construction de Brice De Nice avec son héros crétin encensé pour une jeunesse décérébrée avant d'être rattrapé par la réalité). Ce n’est qu’en assistant à l’élimination successive de toutes les icônes fantasmées des jeunes faussement branchés que Sid pourra revenir vers de vraies valeurs sincères comme l’amour pur et l’amitié. A travers sa solide intrigue de thriller grotesque et ses gags en rafale moins innocents qu’on ne le croit (voir la séquence du tunnel et son camion de clopes), le réalisateur de "Brice de Nice" brocarde avec férocité la superficialité des adolescents fashion-ptdr-lol-hype auxquels son film est censé s’adresser, quitte à se les mettre à dos. Entre une mise en scène très MTV et des gags qui s’adressent principalement aux ados, ce pur divertissement se consomme comme un MacDonald. La preuve, s’il en fallait une, que "Hellphone" évolue bien loin du cadre du simple divertissement calibré pour aller vers quelque chose de plus surréaliste, décomplexé, méchant et surtout unique. Bref, un très bon film français original, drôle, décalé, atypique, légèrement gore, bien barré, avec des personnages attachants (même les adolescents qui harcèlent Sid, à savoir Virgile, David et Franklin, sont assez attachants bien que Virgile est assez antipathique tout de même, par contre j'ai adoré le personnage de Franklin qui est le garçon le plus mignon et le plus sympathique ce cette bande). Dans le genre très fermé des films français pour ados, "Hellphone" est sans doute LA référence la plus recommandable car c'est l'un des meilleurs films français pour adolescents que j'ai pu voir. A voir car c'est une très bonne surprise, très agréable