« Vous savez, le visage, c’est pas exactement ce qui intéresse le client. »
Lorsqu’on s’intéresse en profondeur au cinéma noir français des années ’60/’70, adaptations de Simenon comprises, époque où les collaborations franco-italiennes étaient légion, il est assez surprenant de passer de l’autre côté de la frontière pour regarder et analyser une coproduction italo-française, comme ce Commissaire Maigret à Pigalle, réalisé en 1966. La gestion des plans, par exemple, est assez différente des plans français, plutôt variés et assemblés de manière généralement plus fluide. Ici, on est dans une volonté de réalisme beaucoup moins édulcorée, ce qui concerne aussi, par exemple, les couleurs, plus tranchantes, plus vives. Comme dans une forme de réalisme expressionniste, avec les fameux « plans italiens », tête et buste.
Mario Landi, très peu connu de ce côté des Alpes, est, apprend-on, un spécialiste du « giallo » (Mario Bava, Tinto Bras, Umberto Lenzi, Dario Argento), ce genre typiquement italien qui équivaut d’abord au cinéma noir avant de se muer en genre populaire mêlant policier, troubles psychiatriques, gore et érotisme, un genre qui refera surface plus tard aux Etats-Unis, notamment via Brian De Palma. Le scénariste Sergio Amidei, lui, a collaboré avec les plus grands noms du cinéma italien, Roberto Rossellini, Mario Monicelli, Alberto Sordi, Ettore Scola.
Au niveau de la distibution, on sera d’abord surpris de voir Peppone en Maigret. Ça serait oublier un peu vite que Gino Cervi a travaillé sous la direction des plus grands réalisateurs français (Julien Duvivier, André Hunebelle, Henri Verneuil, René Clément) et italiens (Curzio Malaparte, Vittorio De Sica, Mauro Bolognini, Luigi Comencini) et, surtout, qu’il a incarné pour la télévision italienne, le commissaire Maigret pendant huit ans. Pour lui donner la réplique, on retrouve Raymond Pellegrin, qui a partagé sa longue carrière entre la France, l’Italie et les Etats-Unis, José Greci, actrice habituée des péplums italiens, Lila Kedrova, qui a travaillé avec les plus grands réalisateurs français d’après guerre, auteure notamment d’une prestation inoubliable dans Razzia sur la Chnouf (Henri Decoin, 1955), Alfred Adam, dans le rôle de l’inénarrable Lognon et Christian Barbier dans celui du fidèle Torrence.
Si la réalisation surprend de prime abord, on s’y fait vite et on appréciera les changements de plan en fonction de la gravité des dialogues. Ce qui pêche le plus, hélas, c’est la façon dont est traitée l’histoire, comme une enquête policière traditionnelle, ce qui n’a rien de condamnable en soi, d’autant que les doublages sont bien faits, qu’il y a de temps à autre de brefs moments comiques, sans oublier les instants gastronomiques, que la musique d’Armando Trovajoli (qui a lui aussi travaillé avec les plus grands réalisateurs italiens) est soutenue et que les décors donnent du corps au quartier de Pigalle de la fin des années ’60. Mais il y manque l’essentiel de toute histoire simenonienne : le réalisme psychologique, ce plus qui a permis à l’auteur belge ainsi qu’à la plupart des adaptations de ses œuvres de passer à la postérité. Ainsi, les souvenirs en forme de flashbacks des différents témoins ralentissent la narration de façon plate et affadissent le récit jusque là prenant. Les dialogues de Georges et André Tabet (dialoguistes l’année d’avant du Corniaud et, la même année, de la Grande Vadrouille) sont d’ailleurs aussi assez moyens.
Au final, c’est la réalisation de Landi et le style à la fois débonnaire et colérique de Gino Cervi (on retrouve parfois les mimiques de Peppone), pourtant assez éloigné de la carrure autoritaire et bourrue, certes, mais aussi flegmatique de Maigret, qui tiennent ce film à flot, à voir comme une curiosité si l’on s’intéresse aux adaptations de Simenon et pour le dénouement où Lila Kedrova est, une fois de plus, somptueuse de fragile pudeur.