Martin Provost compare cette histoire à une tragédie grecque où chaque personnage se dirige à sa propre perte. Après "Séraphine", il renouvelle sa collaboration avec Yolande Moreau qui se retrouve face à un personnage rêvant de liberté, une victime trouble et complexe. Son interprétation est remarquable ; tout en retenue, on observe un désir de vivre enfin, de libération après avoir assassiné son mari, mais les remords ainsi que l'enquête parallèle de la police la guettent et transforment son renouveau en descente en Enfer. L’esthétique du film est mesurée et subtile, s'accorde adroitement à l'actrice principale, enfermée dans une vie sombre et grinçante, où aucune vitalité ni soupçon d'existence se fait sentir dans la première partie, c'est-à-dire avant le meurtre. L'acmé du film, qui apparaît tel un cheveux sur la soupe (c'est vrai qu'hormis le synopsis, on s'y attend pas) la libère d'un poids considérable; les maltraitances quotidiennes de son mari et son ignorance. Elle sort de sa cage et reprend en main sa relation effacée avec son fils unique, ayant fuit depuis longtemps l’atmosphère invivable familiale et vivant à Bruxelles avec son compagnon. Le fils devient un personnage clef à l'action et à l'évolution (l'involution?) de la mère, il devient l'écho, le reflet anecdotique de sa mère; c'est en effet tout un passé tendu qui remonte à la surface lors de leur retrouvailles et instaure une électricité malsaine entre les divers personnages. Ce qui est captivant, c'est que l'histoire ne s'arrête pas au meurtre du père, c'est certes la ligne directive mais les relations, l'enquête, l'amour brisé viennent nourrir les remords de la mère, perdue et confuse entre le Bien et le Mal, entre l'innocence et la folie. Yolande Moreau ne s'épuise pas dans des artifices factices, son personnage étant très discret, parlant peu, on observe son anxiété grandir et le poids du passé l'envahir si bien qu'on arrive plus à voir clair dans ce qu'elle ressent et pense ; son jeu reste mystérieux mais très captivant car juste. Sa fuite la rend inaccessible, presque vide de tous ressentis en se forçant d'oublier le passé. Pierre Moure, interprétant son fils, a priori calme et heureux de retrouver sa mère, explose face à la caméra dans un état dérangeant et bluffant. Deux portraits qui se retrouvent et qui ont du mal à s'accorder mais dont les différences constituent tout le dialogue intriguant du film. L'implantation de l'histoire en Belgique contribue aussi à l'étrangeté inaccessible du film car toutes ces petites différences (les chiffres nonante et septante, les plaques d'immatriculation, les accents,...) forment quelque chose d’indéfinissable mais d'efficace. Étonnant.