Le film de Ken Russell réalisé en 1980 est un long métrage que je rêvais de voir depuis de nombreuses années, surtout à l'époque ou je m’intéressais particulièrement aux psychotropes et à leurs effets sur notre encéphale, sujet fétiche de tout djeun's qui se respecte.
Au delà du réel, aka Altered States, c'est l'histoire d'Edward Jessup, un chercheur à l'université de Cornell qui tente de percer le mystère des visions provoquées par les hallucinogènes. Selon lui, les phases de trip intense nous informent d'une chose: Dans notre cerveau, il y aurait peut être un lieu où toute la mémoire de l'humanité serait stockée. Cette mémoire vieille de 5 milliards d'années serait peut être accessible au cerveau humain par la prise de psychotrope. Après un voyage au Mexique, Jessup ramènera dans ses valises des champis avec lesquelles il se fera exploser la tronche. Bardé de capteurs, enfermé dans un caisson et la tête pleine de came, le héros découvrira des choses inexplicables et bien dangereuses...
En commençant le film, j'avais peur d'une seule chose: Que le film soit un hymne à la came. Pas que je sois réactionnaire, loin de là, mais je craignais le discours hippie du style: "Mec, prends du LSD, toutes les réponses que tu te poses sur l'univers se trouvent en toi. Demain je pars pour Katmandou avec des copines, j'ai réparé mon combi Wolkswagen donc on partira avec. Tu veux venir? On va se faire un trip de malade tu vois...". J'avais peur aussi du délire trip philosophique au Mexique avec le voyage du héros dans une tribu indienne. Pour avoir déjà lu la littérature des djeun's qui rêvent d'aller prendre de l'ayahuasca en Amazonie ou du peyotl au Mexique, j'avais pas envie d'entendre les citations philosophiques de Carlos Castaneda! De triste mémoire, le dernier réal qui a fait un trip chamanique et qui en a fait le sujet de son film, c'est Jan Kounen avec le foireux Blueberry.
Miracle! Au delà du réel évite de sombrer dans l'apologie neuneu des psychotropes grâce à un scénario de série B ultra solide. Le film de Ken Russell est un mélange entre le film de genre et le film expérimental à la Jodorowsky. En dépit d'un côté un peu kitsch dû à l'âge du film, Au delà du réel est un film unique, étrange, mystique et surtout passionnant à regarder. Sur une trame basique de savant fou qui délaisse sa femme pour ses expériences de barjots, Ken Russell injecte dans son film des questionnements philosophiques à la 2001 l'odyssée de l'espace. Alors OK, on a pas affaire à du Gilles Deleuze ou à du Jankelevitch, mais le film va au bout de son délire mégalo. Au delà du réel, c'est un film qui questionne les origines de notre existence dans un mix original de violence, de visions, de spiritualité mystique, de suspense et de divertissement. Quand on pense que la Warner a produit un film de ce genre, cela prouve une nouvelle fois que l'on vit actuellement une époque bien fadasse en terme d'originalité dans les productions cinématographiques américaines d'aujourd'hui.
La réussite d'Au delà du réel vient également de son charme rétro. Les questionnements philosophiques et la manière dont ils sont abordés dans ce film respirent les 70's. A cette époque, les états altérés de conscience passionnaient la communauté scientifique, d'autant plus que les jeunes chercheurs qui planchaient sur le sujet venaient de découvrir récemment le LSD! Quelques années auparavant, le fameux parapsychologue Charles Tart avait publié le bouquin Altered States of Consciousness et créé la psychologie transpersonnelle, une école de psychologie qui intégrait en son sein les grandes traditions spirituelles du chamanisme et des religions. Un courant de pensée qui a obligatoirement influencé Ken Russell et son scénariste.
Heureusement que je n'ai pas vu ce film à l'âge de 18 ans! En plein questionnement philosophique sur l'existence et manquant totalement de maturité, même si je pensais être un génie à cette époque, j'aurais certainement pris au pied de la lettre le film de Ken Russell. N'oublions pas que le but premier d'Au delà du réel est de divertir, chose qu'il exécute avec brio. C'est quand je vois des spectateurs écrire sur allociné des choses comme: "Une déchirure spatio-temporelle s'est produite dans mon esprit à la vision de ce film. J'ai pu à travers elle accéder à la vérité de toute chose : à l'immatérialité de mes pensées et de ma conscience. Au reflet étincelant de mon âme à travers ce que je perçois comme être la réalité. Durant cet instant trop éphémère, j'ai su..." que j'ai peur de l'influence de certains films sur des cerveaux fragiles. Au delà du réel reste un film de genre et pas une propagande new age!
En revanche, je pense malgré tout que vivre une expérience chamanique doit être dantesque. Ressentir un véritable EMC (état modifié de conscience) doit sincèrement nous ouvrir les yeux sur de nouvelles choses, je n'en doute pas.