Que dire ? Que peut on dire de cette oeuvre dont l'affiche semblait pourtant présager une aventure glamour énervante, et la B.A un classicisme inadapté ? Qu'il est incroyable, tout simplement. Claude Miller articule son film comme une complainte : un début fragmenté, déchiqueté, dont un des morceaux finit par s'étirer jusqu'à l'écartèlement, laissant ses plans s'allonger et les acteurs déployer un jeu de regards déchirant. La direction d'acteurs est époustouflante, d'ailleurs. Cécile de France se consumant dans son désir, Patrick Bruel dont le charisme et la puissance se déchiquètent face à la tragédie, Mathieu Almaric, rare mais exceptionnel (la force dramatique de son regard a fait sa réputation), et Ludivine Sagnier. Impressionante. Elle incarne le film à elle seule, une jeune femme dont la beauté est en totale opposition avec cette vie, ce désir de vivre qui s'échappe trop vite à mesure qu'elle respire, et dont la fatigue, une fatigue de vielle dame, une fatigue écrasante, la poussera jusqu'à une fin tragique. Claude Miller, comme Almodovar, ne se repose pas uniquement sur sa propore mise en scène (ce que beaucoup trop de réalisateurs fonts), il filme des acteurs, en est conscient et capte ainsi leurs regards avec beaucoup plus de force. D'ou la simplicité de la puissance de cette oeuvre.
Chaque image du film de Claude Miller est un hurlement de désespoir, déchirant jusqu'au plus profond de l'âme du spectateur. Le réalisateur lui fait alors ressentir puissance 10 ses douleurs les plus vives, celles d'une enfance harcelée par des cauchemards terriblements anxiogènes. Jamais dans un film à tendance historique l'artiste n'aura été aussi proche du spectateur, presque intime avec lui, ce "consommateur" qui ici sera déchiqueté jusqu'à un dénouement fragmenté, morcelé, presque annihilé (des visions noyées les unes dans les autres, un épilogue décomposé...), qui le laissera alors soulagé, baignant dans une sorte de malaise euphorique, paradoxal dans sa forme même, mais pourtant bien réél. Le film de Miller, tel un poème de Jaccottet, se déchire à chaque image, se démembre de façon inégale, s'étire parfois jusqu'à l'écartèlement, ses visions se nouent les unes aux autres, offrant alors à cette narrration morcelée une incroyable fluidité. Tel un cauchemard, le film de Miller, d'une beauté brisée, est une vision cassée.