Quand Claude Miller a lu le roman de Philippe Grimbert, il y a tout de suite perçu un écho de sa propre histoire. "Je suis né en 1942. Il n'y a pas beaucoup de survivants dans ma famille : la plupart de mes oncles, tantes et grands-parents ne sont pas revenus des camps de concentration. Enfant puis adolescent, je fus hanté par cette histoire traumatisante et anxiogène. J'en ai conçu des peurs et des phobies. (...) Mais, bizarrement, c'était un thème dont je n'avais parlé dans aucun de mes films précédents." Certes, Claude Miller n'a jamais abordé cette période ; mais le thème du secret familial pesant sur la vie d'un enfant était au cœur d'un de ses films les plus personnels, "La Classe de Neige".
On retrouve d'ailleurs dans "Un Secret" le même traveling avant sur la porte au fond du couloir, la même ambiance bleutée de dissimulation menaçante. Mais ici, il ne s'agit pas d'un seul secret, mais de toute une série qui s'emboîtent comme des poupées russes, certains évidents, d'autres plus surprenants.
Je n'avais pas lu le roman de Grimbert dont est tiré le scénario. Je ne sais donc pas d'où provient la gêne qui m'a empêché d'adhérer complètement à l'histoire : trouve-t-elle son origine dans un enchaînement des actions trop prévisible parce que trop symbolique de la destinée des juifs pendant la guerre, ou à une réalisation trop parfaite, et donc trop lisse pour un tel sujet ? La volonté de raconter que derrière une extermination de masse qui est parvenu à transformer l'homme en statistique, se trouvent une multitude de destins et d'histoires individuelles, débouche paradoxalement sur l'effet inverse : on passe le film à chercher quel est le véritable sujet, la déception du père, la culpabilité des parents, la judaïté refoulée du fils ?
La scène où à 15 ans, François massacre à coup de poings son voisin coupable de vannes antisémites, alors qu'il venait de proclamer à Louise son refus de se considérer comme juif, est emblématique de l'ensemble du film : on comprend parfaitement pourquoi elle a été écrite, mais justement parce qu'elle n'est justifiée que par cette seule évidence, on n'y croit pas. Il en va de même pour la réalisation, dont la perfection formelle est trop voyante. Le jeu de répétition entre le passé rêvé et la réalité, le choix de la permanence des lieux (la cour de l'immeuble, la piscine de l'Alsacienne) pour renforcer l'impression d'imposture du cadet, tout cela souligne encore un propos déjà très appuyé.
Heureusement, il y a les acteurs, et particulièrement les actrices. Julie Depardieu, vieille fille amie de la famille et confidente de François ; Cécile de France, avec sa beauté légèrement androgyne ; et surtout Ludivine Sagnier, loin des femmes-enfants un peu garces de ses derniers films, capable de faire comprendre d'un regard tout le basculement qui s'opère en elle.
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