Ce fameux "Concert" vers lequel tend toute l'histoire constitue incontestablement le clou du spectacle, l'instant de grâce subliminale qui vous tatoue le film dans le coeur. Difficile, en effet, de rester insensible à ces 10 dernières minutes d'intensité émotionnelle au paroxysme, 10 minutes au cours desquelles, à travers un très beau jeu de flashbacks et de regards, chaque pièce du puzzle qui lie les protoganistes se met inexorablement en place pour libérer les terribles non-dits d'un passé dramatique. Moment d'infinie sensibilité : la superposition des images en plan dos de Léa, mimant avec ses doigts les gestes de soliste sur un violon imaginaire, dans le froid et la nuit ; puis d'Anne-Marie, qui reproduit 30 ans plus tard les mêmes gestes et les mêmes notes sur son violon, sous les lustres et les ors du Châtelet. Mais au-delà de ce côté dramatique qui noue la gorge et fait monter les larmes, Radu Mihaileanu réussit à nous faire rire avec des scènes cocasses, voire franchement burlesques. Et c'est là tout son talent, d'osciller en permanence entre deux tons... Andreï Filipov est homme de ménage au Bolchoï. Ex maestro du prestigieux théâtre lyrique moscovite, il n'écoute plus qu'à la dérobée les musiciens s'entraîner en répétition depuis qu'il a été déclaré "ennemi du peuple" par le régime communiste pour avoir soutenu Sacha, son ami juif. Un jour, il intercepte un fax invitant l'orchestre du Bolchoï à se produire à Paris. Un pari fou naît alors dans son esprit : réunir tous ses anciens musiciens, rétrogradés comme lui à des taches subalternes, et reformer son ancien orchestre, qu'il fera passer pour le Bolchoï, sans rien divulguer en haut lieu. Retrouver ses anciennes sensations, se produire à nouveau sur scène et rejouer Tchaïkovsky : si la petite flamme de la passion s'est rallumée, on imagine l'ampleur de la gageure. La solidarité intercommunautaire (les Juifs, les Russes, les Tziganes) va fonctionner à plein, tandis que la fameuse âme slave ("Je vous baise très chaleureusement") provoquera d'amusants télescopages de cultures et des exigences contractuelles pour le moins originales et casse-tête ("Chez Sidi Moktar" transformé en "Trou Normand"). Dommage qu'on n'évite pas la caricature et les clichés à la louche. Mais les acteurs sont justes et l'histoire touchante. Pas besoin d'être mélomane pour apprécier...