La métaphore de l'orchestre comme résumé du monde n'est pas une nouveauté au cinéma, loin de là ; il suffit d'évoquer "Le Chef d'Orchestre" de Wajda ou "Prova d'orchestra" de Fellini. Pourtant, en situant l'action du film dans le contexte du stalinisme finissant - ce qui était déjà le cas de Wajda -et de la Russie contemporaine des maffieux et des oligarques, Radu Mihaileanu prend appui sur une réalité qui donne de la force à son récit, et qui renouvelle l'idée elle aussi surexploitée du come back impossible, type "Space Cowboy", mélangée à celle de l'imposture, type "Rasta Rocket" ou "Sri Lanka National Handball Team".
Reconnaissons pourtant de la constance à Radu Mihaileanu, puisque ces deux précédents succès racontaient eux aussi l'histoire de gens qui se font passer pour ce qu'ils ne sont pas, les habitants du shtetel de "Train de Vie" tirant au sort les rôle de soldats allemands, et la mère chrétienne de Yaël poussant son fils parmi les falashas pour le sauver dans "Va, vis et deviens".
La première partie se déroule uniquement dans le Moscou d'aujourd'hui, que l'on parcourt dans l'ambulance de Sacha, violoncelliste et meilleur ami d'Andrei, et où on découvre les petits métiers pittoresques comme ceux de figurants pour les manifestations hebdomadaires du Parti Communiste de la Fédération de Russie (Luc Chatel n'a rien inventé) ou pour les mariages des enfants des parrains du milieu moscovite.
Même si on a l'impression que la pellicule a été récupérée dans les surplus de la Mosfilm tant la photographie verdâtre est moche, même si la caricature n'est pas absente de la galerie de personnages qui composent l'orchestre, il y a une énergie et une bouffonerie qui évoque les grandes heures de la comédie italienne. Ca se gâte très nettement quand tout ce petit monde débarque à Paris, et la peinture de tous ces musiciens juifs désertant leur orchestre pour faire des petits traffics de caviar ou de portables chinois a bien du mal à passer.
Et puis, puisque j'évoque la comédie italienne, l'échec principal du film réside dans son incapacité à passer du comique au dramatique comme savaient si bien le faire les Comencini, Scola ou Dino Risi. La faute à des effets larmoyants bien voyants, à un surjeu des acteurs russes qui parlent un français phonétique bizarrement sous-titrés, et à un récit qui se disperse entre la relation entre Andrei et Anne-Marie, l'enjeu du concert lui-même et les magouilles du manager stalinien Gavrilov. Cette difficulté à choisir la tonalité dominante se cristalise avec le personnage de Mélanie Laurent qui réussit à introduire une réelle émotion à chacune de ses apparitions, vite dilapidée hélas par l'arrivée des deux retardataires de l'orchestre avec leur sac Tati rempli de billets récoltés au marché noir.
Rendons cependant grâce à Mihaileanu d'avoir filmé le concerto pour violon et orchestre de Tchaïcovski dans la continuité, usant de la musique et des regards des différents protagonistes pour faire émerger la vérité cachée dans cette oeuvre pour Filipov et Anne-Marie Jacquet, à tel point que la révélation en voix off en devient redondante. Cette scène finale nous donne l'idée du film que "Le Concert" aurait pu être, loin de ce long téléfilm formaté pour gagner le label des spectateurs UGC.
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