Un film de Jacques Becker (à qui on doit entre autres "La grande illusion" et "Goupi Mains rouges"), lequel a co-écrit le scénario avec Maurice Griffe (qui a aussi signé le script de "Razzia sur la chnouf") à partir du roman éponyme de l’écrivain et scénariste Albert Simonin ("Mélodie en sous-sol", "Les tontons flingueurs"). La tête d’affiche revient à Jean Gabin, décidément très charismatique dans la peau d’un truand vieillissant, si convaincant qu’on croirait que son rôle lui a été taillé sur mesure. Un rôle qui lui aura rapporté un prix de meilleur acteur à la Mostra de Venise 1954. Un rôle qui va lui en amener quelques-uns du même genre dans les années suivantes. Quand on écoute les dialogues de "Touchez pas au grisbi", on pourrait les penser sortis de la plume de Michel Audiard, pour la seule et unique raison que l’argot (souvent lié au monde des truands et à celui des policiers) a été utilisé. Eh bien sachez que l’argot a été quelque peu édulcoré par rapport au roman (un peu trop même d’ailleurs, car les dialogues manquent parfois d’envergure), l’auteur de ce dernier s’étant vu contraint de rajouter un lexique en fin de l’œuvre littéraire afin d’en faciliter la compréhension. De plus, et c’est là que se démarque ce long métrage de ce qui se faisait avant, c’est le fait que l’histoire se place du point de vue des gangsters, tout en se démarquant du genre polar noir en prenant plus un air de thriller qu’autre chose. L’aspect policier est toujours là, mais de façon très légère, alors que le thriller se pose plus sur l’affrontement entre deux générations de bandits : les anciens contre les plus jeunes. Pour matérialiser tout cela, nous avons bien sûr Jean Gabin, à qui on a associé René Dary pour interpréter un Riton rendu un peu gaga sur les bords par la beauté étourdissante de sa belle (Jeanne Moreau si jeune qu’elle aurait pu être leur fille). Plus de vingt ans de différence, ça parait trop beau pour être vrai, surtout pour Riton. D’autant plus qu’apparait une nouvelle sorte de truands, plus motivés que jamais pour prendre la place des vieux, avec de nouveaux marchés comme la drogue. Il n’en faut pas plus pour tourner la tête aux femmes atteintes de vénalité. Pour incarner la génération montante assoiffée de pouvoir, un jeune acteur fait semble-t-il sa première apparition. Il s’agit de Lino Ventura, alors crédité sous son véritable nom : Angelo Borrini. Quoi de mieux que de débuter au cinéma avec un personnage qui porte le même prénom que lui ? Il n’empêche qu’il ne semble pas vraiment impressionné par l’aura de Jean Gabin. Mieux : il lui donne parfaitement la réplique ! Tout en étant différent de ce que le public avait alors l’habitude de voir, c’est de nous faire prendre en sympathie les bandits. Comment ? Eh bien c’est simple : en nous faisant partager leur quotidien. Outre le fait qu'on les voit en pyjama, prendre leur petit déjeuner, aller au restaurant comme des gens normaux, on découvre ainsi un univers où les liens peuvent être fraternels, donnant une dimension humaine à des personnes qu’on ne pensait alors que seulement obsédées par l’appât du gain quel que soit le moyen utilisé. Entre les deux générations, outre la différence d’âge, on peut voir la différence dans la façon de procéder. Les plus expérimentés croient en un code d’honneur, les morts de faim ne jurent que par la fourberie et la trahison. Tout cela donne une profonde réflexion sur la sagesse acquise par l’âge, et sur l’amitié. "Touchez pas au grisbi" est assurément un grand film, soigné jusque dans les moindres détails, d’une bien belle photographie à l’ambiance tendue juste ce qu’il faut
(et qui atteindra son paroxysme lors de la scène de l’échange)
, malgré une lenteur qui peut ne pas être appréciée aujourd’hui si on ne regarde pas ce film avec un œil ancien. Non seulement c’était un effet de style de l’époque, mais cela permet aussi de donner une présence incroyable au personnage de Gabin, doué d’une lucidité et d’une maîtrise à toute épreuve. Tout comme le jeu d’acteur de Jean Gabin, du reste, même si ce n’est pas ici son meilleur rôle…