Une femme descend d'un avion. A son retour sur la terre ferme, parcourant les recoins de Los Angeles, s'offre à elle un enfer terrestre, grouillant de laideur et de bestialité. «The Savage Eye» (USA, 1960) de Ben Maddow, Sidney Meyers et Joseph Strick détruit le rêve américain et dresse le portrait d'une Amérique peuplée de tares. Venant de se séparer de son époux, la femme a pour compagnon spirituel un ange. A aucun instant, cette femme au visage singulier ne sera amenée à prononcer un mot. Tous les dialogues sont off et interrogent la consistance du réel, sa vérité. Mme Ex, la protagoniste dont la caméra, l'oeil sauvage, suit la route, contemplent les physiques disgracieux qui composent le lieux, la destruction de l'individu dans la masse du consumérisme. L'ange, qui motive la femme à opter pour un regard plus optimiste, veut voir dans les délires des Etats-Unis une cause humaine à défendre. Pourtant les trois cinéastes, qui ont alternés les tournages, persistent à faire du monde un aggloméra d'hideuses figures. Pour ce faire, ce n'est pas tant un procédé cinématographique auquel font appel les réalisateurs qu'une démarche photographique. Fait davantage selon un travail de chef opérateur que de réalisateur, «The Savage Eye» se compose comme des photographies en mouvement et non pas comme du mouvement en photographie. Cliché de l'Amérique, c'est ce qui résulte du travail des cinéastes étalés sur quatre années. Cliché de l’Amérique, c'est aussi de cela que se nourrit le film. Ayant le mérite de contester des Etats-Unis tout puissant qui se gargarisent de leur force, les trois cinéastes n'oublient pas de capter les images d'Epinale de la débilité pour mieux les dévoyer au service de leur propos. Le film ne semble pas vouloir nous dégouter des affres du monde, plutôt nous les faire partager, nous les plaquer en plein écran pour dévoiler l'hallucination d'un monde pervertis par la consommation de masse.