« Je me demande ce que ces deux crapules ont bien pu passer en fraude. Quelque chose d’important sans doute. Seulement ça, personne pour le voir (…) Et on soupçonne ma fille d’avoir volé des bas. »
Après L’Inconnu Dans la Maison (1942, avec un fabuleux Raimu) et avant La Vérité sur Bébé Donge (1952, avec un Jean Gabin décalé et une Danièle Darrieux exceptionnelle), Henri Decoin adaptait L’Homme de Londres avec Charles Exbrayat aux dialogues.
Le film commence sur la magnifique chanson L’Aventure Aime la Nuit, qui ponctue régulièrement le récit, interprétée, sur fond de fog et de coques, par Nila Cara sur une musique de Georges Van Parys. Durant toute l’histoire, entre les quais que surplombe la cabine des contrôleurs de train, le Moulin Rouge, cabaret près des quais et la maison du contrôleur de nuit, on suit la folie grandissante de Charles Maloin/Fernand Ledoux, le contrôleur, les recherches infructueuses de Charlie Brown/Jules Berry, ancien clown devenu voleur et bête traquée et Camélia/Suzy Prim, rabatteuse au grand coeur. Autour de ces personnages, on retrouve Héléna Manson dans le rôle de Madame Maloin, Jean Brochard en inspecteur à la poursuite de Brown, Blanche Montel qui incarne une captivante Madame Brown et quelques autres interprètes plutôt convaincants. Et puis il y a la valise, magnifique exemple de MacGuffin.
Si le film a visuellement vieilli, on soulignera malgré tout quelques prouesses techniques comme cette ambiance de brouillard et de pluie permanents, les voix off envoûtantes et les gros plans encore héritiers de l’expressionnisme finissant. Pointons aussi le sujet, la folie d’un homme pauvre, droit et autoritaire qui est prétexte à une admirable plongée socio-psychologique avec des thèmes récurrents chez Simenon comme celui de la famille coupée en deux par l’argent et la situation, comme dans Le Fils Cardinaud/Le Sang à la Tête (Gilles Grangier, 1956) ou la fragile situation des femmes. Enfin, l’interprétation, certes encore théâtrale, est excellente et donne à l’ensemble un cachet unique. Avec ses trois adaptations de Simenon, dont c’est ici la deuxième, Decoin a démontré tout son talent à mettre en scène la profonde humanité, jusque dans ce qu’elle a de plus terrible, des personnages du romancier belge.