Cinématographie, art du temps. Au travers de «Die Grosse Stille» (Allemagne, 2005), Philip Gröning stagne les secondes, mais plutôt que de les cristalliser dans une vaine contemplation de sublimement, le cinéaste allonge les secondes, les dilue dans le temps. Cette évaporation temporelle, non sans rappeler étrangement les haïkus japonais, se dispense d’ennui par la vie qui emplit le documentaire. Effectivement, si l’œuvre se déplace en de longs plans, illustrant des déplacements internes pesés, ce n’est pas par dévotion d’ennui mais par soucis de vitalité. Les couloirs du monastère, souvent mis en forme comme des galeries canalisant le temps, sont les principaux lieux de juxtaposition de la vie cléricale. Néanmoins détrompez-vous, le film de Gröning ne prétend jamais peindre le portrait de ces hommes entièrement sacrifié à l’ascétisme chrétien. C’est bien le temps et son observation qui semble primer. Ainsi, les instants devenant l’objet d’une belle et intéressante effigie, chacun des mouvements se fait icône, chacun des gestes devient liturgiques. Et pourtant, rien de solennellement précieux, c’est un quasi travail anthropologique qui est mené là. C'est-à-dire que le cinéaste capte ce milieu non pas comme un étrange lieu extraordinaire mais dans son cadre le plus simple et le plus commun. Si le témoignage murmuré de cette micro-société religieuse est concentré avec beaucoup de maestria sur l’enjeu du temps dans un tel décor, les plans bucoliques, innocemment contemplatifs sont des juxtapositions un peu simplettes de l’effet du temps (que Ferran use bien mieux dans «Lady Chaterley»). Hormis ce point, il faut mettre en exergue la valeur expérimentale que comporte indéniablement le film. Jeu sur le temps, accéléré puis ralentis, malléabilité des moments, c’est pour cette raison que ce documentaire est plus cinématographique qu’un très grand nombre de fictions pyrotechniques et «époustouflantes».