Un film réalisé par Michel Gondry sur des bidouilleurs qui bricolent des remakes avec tout un bric-à-brac de récupération, ça ressemble quand même furieusement à une mise en abyme : mettre en scène des nounours marchant dans la forêt, des trains en cartons, des studios en boîtes d'oeufs, c'est ce que l'ex-batteur de Oui-oui fait depuis plus de 15 ans dans ses clips, ses pubs, ses courts et ses longs métrages.
Pas étonnant donc que le meilleur de "Be Kind Rewind" (titre original beaucoup plus gondryesque que sa traduction littérale française) se trouve dans les films "suédés" - le duo explique à leurs clients que les films sont réalisés en Suéde, pays apparemment terriblement exotique pour les habitants de Passaic -, et dans le making off de leurs tournages. On assiste ainsi à toute la mise en boîte de leur premier film, "Ghost Busters", où les rayons ectoplasmiques sont figurés par des guirlandes de Noël, le fantôme glouton par un sac poubelle apparaissant et disparaissant à coup d'effets Mélies, et la ghostmobile par une 2 portes couverte de gaines VMC (qui rappellent le camion de Björk dans "Army of Me").
La même inventivité préside au reformatage cheap et digest de "Rush Hour 2" (Admirez le tapis-parcours de voitures de la chambre du gosse pour donner l'illusion de profondeur en dessous de Jerry suspendu dans un vide de 1,50 m), de "We were the Kings" (Admirez les gants de boxe en sacs poubelle) ou de "King Kong" (Autre mise en abyme, avec Jack Black jouant dans un remake du remake où jouait Jack Black).
Mais le plus beau film est sans doute celui que l'on voit dès le générique, et dont on suit la réalisation à la fin : la biographie arrangée de Fats Waller, du pur Gondry de la période clip, avec un noir et blanc comme dans "Cellphone's dead" pour Beck ou "Isobel" pour Björk, et des effets spéciaux home made comme la naissance de Fats ou le train qui l'emmène avec ses musiciens à New York. Ce film a été tourné réellement avec les habitants de Passaic (Michel Gondry raconte d'ailleurs que cela posait un problème vis-à-vis des règles syndicales, et que la seule façon de les faire jouer était de les déclarer en tant que danseurs), et la fierté que l'on lit sur leur visage dans la scène finale a été captée alors qu'ils découvraient réellement le film.
Malheureusement, les différents suédages font partie d'une histoire, et le lien entre ces scènes ne convainc pas toujours, la faute sans doute à un problème de tonalité, et peut-être aussi de direction d'acteurs : parfaitement raccord quand il s'agit d'incarner Robocop ou Miss Daisy, le surjeu de Jack Black ne passe pas aussi bien, alourdi par quelques gags un peu patauds et par le QI de Mike et Jerry proche de celui des héros de "Dumb and Dumber".
Dommage, car la morale de cette fable ne peut que susciter l'adhésion : contre la logique des promoteurs immobiliers et celle des avocats d'Hollywood, représentés par Sigourney Weavers qui obtient l'écrasement des oeuvres suédés par un rouleau compresseur comme s'il s'agissait de vulgaires Rollex de contrefaçon, la riposte réside dans la mobilisation des gens et l'appel à leur créativité, comme l'atteste la fin digne de "la Vie est belle" (le vrai, celui de Frank Capra). Ce propos est souligné par la présence à l'écran de deux acteurs connus pour leurs engagements, Mia Farrow et Danny Glover.
Une nouvelle fois, Gondry situe ses personnages dans un refus de grandir, si grandir signifie abandonner les rêves de l'enfance, et si l'enfance ressemble à celles de Jacques Demy ou de Stieven Spielberg, tournant image par image leurs premières fictions avec la caméra super-8 de leurs parents. Comme dans "Eternal Sunshine of the Spotless Mind" (et aussi un peu "La Science des Rêves"), il s'agit de lutter contre l'effacement de la mémoire, et la disparition de la diversité, symbolisée par les présentoirs des dévédéthèques n'exposant qu'un seul film.
Signalons enfin le site internet suédé, avec, comble de la mise en abyme, une bande-annonce elle même suédée où Michel Gondry joue tous les rôles !
http://www.critiquesclunysiennes.com