Le cinéma asiatique, plus encore que le cinéma américain, est incontestablement le maître du polar contemporain. Pour raconter le passage de pouvoir du chef d'une triade de Hong Kong, Johnny To sait admirablement dérouler une intrigue palpitante, caractériser des personnages, et assure une mise en scène brillante. Son mode opératoire est souvent le suivant. Scène un : une discussion entre plusieurs personnes, qui explicite les rapports de force, les enjeux, en un mot ceux qui vont rester et ceux qui vont mourir. Scène deux : le décor change complètement, et le spectateur doit vite faire le lien avec ce qui vient d'être dit pour comprendre ce qui se passe. L'attention soutenue est recommendée, mais le film n'est pas du tout confus, car les scènes sont en réalité très liées. Un autre point fort est cette musique plutôt légère, en contrepoint des images, parfois choquantes par leur violence sèche. Et enfin, cerise sur le gâteau, le film n'est pas fasciné par les truands, par la triade mafieuse. Tous ses représentants, même s'il apparaissent à un certain moment comme sympathiques, sages, voir respectables, tombent le masque quand il s'agit de prise de pouvoir et se révèlent des personnes limite psychopathes pour arriver à leur fin. Le discours sous jacent est aussi que de nos jours la tradition se perd, fini le temps de la règle d'or de la triade "les frères avant tout, avant le pouvoir, avant l'argent". Le vieil oncle obèse, sorte de César de ce clan, semble encore croire qu'il a de l'influence sur les jeunes, et que ceux ci écouteront ses discours de sagesse. Les deux films, Election 1 et 2, tous les deux remarquables, tendront à nous prouver le contraire. Bien mieux que "Les infiltrés", le film nous décrit la fin d'un monde (d'ailleurs le titre "The departed" aurait aussi pu convenir ici).