Mettre à l’écran une grande fresque de vie au sein de l’univers carcéral est au premier abord forcément complexe tant l’univers est renfermé sur lui-même, avec dans l’idée peu de communication et des moyens très réduits pour les personnages de manifester leurs actions et s’exprimer au monde quant à leur situation. Mais c’est pourtant par ces contraintes que le film va exceller. Par le renfermement du personnage sur lui-même, sans échappatoire jusqu’à côtoyer la mort, et puis la reconquête d’un homme pour vivre, symbolisé par ce gain petit à petit de liberté pour intégrer d’une certaine façon la société qui la rejeté. L’histoire d’Un Prophète sera vu au travers de Malik El Djebena, interprété par la révélation de cette année 2009, Tahar Rahim, où ce petit voyou vivra un enfer en prison avant d’intégrer petit à petit la mafia Corse qui dirige à coups de pots de vin et de violence la prison, avant de s’en détacher pour créer son propre réseau entre différents clans de la prison avec l’extérieur pour vendre de la drogue grâce à ses sorties temporaires.
Le film permet donc de mettre en lumière l’évolution d’un homme, exclu d’une société dans laquelle il a vécu qui va l’obliger à en intégrer une nouvelle, avec d’autres personnes dans ce cas, formant un vrai microcosme en lui-même, hostile, dictée par des codes qui eux-mêmes sont dictés par d’éventuelles menaces auxquelles le protagoniste devra faire face. Ainsi l’ambiance hostile et très froide qu’on imagine de cet environnement est parfaitement rendu par la photographie aux couleurs très terne qui rappelle les dialogues et le jeu d’acteur très dur, sans ménagement, donnant un sentiment d’étouffement et d’oppression par moment, contrastant avec les quelques ruptures de joie et d’attachement que nous offre le héros, accompagné d’une bande son qui fluidifie à merveille les 2h35 de film. Toutefois ceci n’empêche pas une volonté de plans plus stylisés, souvent entre ombre et lumière. Participant au fabuleux rythme du film de bout en bout et offrant de belles transitions pour faire pleinement prendre conscience des sentiments que traverse le personnage, entre peur, humiliation puis prise de confiance, euphorie et enfin rédemption jusqu’au succès.
C’est alors qu’on voit dans ce film tout le talent du réalisateur Jacque Audiard qui parvient à transmettre à merveille un homme qui lutte pour vivre, un homme en quête de mobilité, qui refuse le fait d’être statique malgré les quatre murs de sa cellule, puisqu’encore une fois ici, l’absence de mouvement c’est la mort. Et de manière plus générale, Malik nous permet de voir à travers lui tout le mouvement d’une prison corrompu qui contraste avec le fait statique de l’emprisonnement, mais qui lutte pour exister dans un monde qui souhaite les faire disparaître. La caméra vit avec eux pour les suivre dans toutes leurs actions mais au-delà d’une vision documentaire puisqu’elle suit chacun de leur mouvement, augmentant leur impact lors d’une liberté totale sans contrôle, mais aussi de frustration quand l’oppression extérieur est trop forte.
Mais face à tant de contraintes, en survivre dignement semble une idée bien trop lointaine de Malik pour être envisagée, la perdition semble total tant la brutalité de la vie dans laquelle il a été jeté de force exerce une pression trop forte sur ses épaules, pour lui comme une certaine partie des gens qu’il côtoie. C’est ainsi que doit intervenir ce petit quelque chose, ce surnaturel, ce brin d’intervention divinatoire qui sauvera le personnage et donner de l’espoir à ses codétenus. Espérance qui cependant en restera là tant seul le sang et l’argent donne le droit de vie ou de mort, sans sortie possible de ce schéma, si ce n’est par une prophétie dont seul le cinéma est capable, mais qui rappel au fond la cruauté de la concrétude du monde.