Les Promesses de l'ombre s'inscrit de manière évidente dans la lignée de A History of violence, précédent film de David Cronenberg, et d'ailleurs le seul du réalisateur canadien sur lequel je m'étais penché avant aujourd'hui. Dans les deux cas est raconté le parcours d'une famille bouleversée par sa confrontation avec une mafia, ici, la mafia russe de Londres, et Viggo Mortensen interprète à chaque fois un homme ambigu, sur la corde raide et loin des apparences premières. Cette fois cependant, on développe l'histoire de la famille criminelle au moins autant que celle d'apparence ordinaire. Je trouve ce pont entre les deux mondes fascinant, lui qui était déjà développé dans A History of violence et traduit la vision d'une société sans frontières indépassables. En outre, cette fois, Cronenberg renonce au film d'auteur, développant beaucoup moins ses pistes de réflexion, pour se focaliser sur le développement du récit. C'est alors tout naturellement que découle de ce processus les idées qui sont attenantes à ce dernier (la filiation, les faux-semblants, la distinction entre corps et âme et pourtant le rapport de proximité entre l'homme et la chair, à nouveau développé sans complaisance via des scènes violentes). Mais ces idées viennent donc se greffer sans l'étouffer au scénario et à son développement, d'où prend forme un drame noir, shakespearien, qui doit beaucoup à ses personnages. Armin Mueller-Stahl est glaçant, Naomi Watts ne démérite pas, et si Cassel en fait parfois un peu trop, je soupçonne que ce désagrément soit en bonne partie du à sa VF (qui se justifiait ici par la nationalité des comédiens, dont aucun n'était russe et dont la crédibilité en VO n'aurait sans doute pas été renforcée). Mais surtout, Viggo Mortensen crève l'écran. Le déchire même, l'explose si vous voulez, en tout cas le fait disparaître et nous place, tout sibyllin qu'il soit, au plus près de son personnage par une ambiguïté et une précision de tous les instants. Le Monsieur est un grand, très grand même. Mais pourtant, si comme je l'ai dit, le scénario est construit plus pour que par ses personnages, il est loin d'être insignifiant en lui-même, contrairement à ce que j'ai pu lire. Et puis Cronenberg utilise en contournant leur lourdeur éventuelle les archétypes de construction narrative du genre, casant par exemple un twist sans amener de répétition vis à vis du déjà vu dans le polar noir. Ceci passe notamment par une mise en scène mise au service des personnages et du récit, mais aussi une vraie facilité pour amener des idées de transition (je pense notamment, attention au spoiler, à l'apparition de la fille de Kirill juste avant la destitution de son père, dénotant sans conteste l'arrivée d'un passage de témoin). Bref, un film marquant, sans doute plus réussi que A History of violence, et à voir au moins pour la prestation d'un Viggo Mortensen qui s'offre une place parmi les meilleurs, les plus fins comédiens de son temps.