Premier plan du film, fixe. Un homme et une femme se font face, sur un fond bleu piscine. Ils se séparent, on entend hors champ les bruits d'un déménagement, des silhouettes passent dans le cadre. Il lui demande si elle n'a rien à dire, si elle ne veut pas qu'il reste ; elle ne répond pas. Il sort du cadre, on entend une portière claquer, un camion démarrer, et le fond bleu s'efface. Elle est maintenant seule, sur un fond désertique, et réussit enfin à dire : "Reste !" Cette scène d'ouverture est représentative de ce qui fait la particularité de ce film, c'est-à-dire son côté très écrit (trop ?) -les deux réalisateurs sont écrivains-, et la maîtrise technique, plus inattendue puisqu'il s'agit d'un premier film.
Cette compréhension de ce qu'est le cinéma, à savoir l'utilisation appropriée de la grammaire du mouvement pour se mettre au service d'un récit, se manifeste particulièrement lors de la découverte du deuxième personnage, Keren. Nous rentrons dans un mariage par un long plan séquence en traveling à la suite de Batya depuis la cuisine jusqu'à la salle des fêtes. Puis la caméra filme en plongée la mariée coincée dans les toilettes, la corolle de sa robe blanche sur le fond bleu marine évoquant les méduses du titre. Un montage nerveux oppose sa détresse assourdie à la frénésie de la piste de danse, symbolique du décalage des différents personnages par rapport à leur réalité environnante.
Décalage de Batya, qui avoue douloureusement à celle qui lui propose de l'aider qu'elle ne peut faire confiance à personne, jamais remise des déchirements du premier âge entre un père cavaleur et une mère bienfaitrice médiatique, et qui s'attache à cette petite fille mutique sortie de la mer, à moins que ce ne soit de sa propre enfance.
Décalage des jeunes mariés, partis pour les Caraïbes et échoués dans un hôtel lugubre envahi par des remugles d'égoûts, et où les femmes croisées dans les ascenseurs demandent comment s'écrit opprobre éternel. En quelques jours, ils vivent en accéléré ce que subissent bien des couples : suspicion, déception, jalousie.
Décalage de Joy, lost in translation, le coeur aux Philippines, souhaitant travailler avec des bébés, et qu'on envoie s'occuper de vieilles dames, dont une meurt, et dont l'autre pense que parler allemand suffit pour se faire comprendre de cette potiche anglophone.
De tous les films récents de ce nouveau cinéma israélien si dynamique ("The Bubble", "Tehilim", "Une Jeunesse comme aucune autre"), "Les Méduses" est certainement le plus universel. D'ailleurs, les réalisateurs se sont attaché à éviter les plans larges permettant d'identifier les lieux de Tel Aviv où se déroule l'action. Il y a bien quelques répliques spécifiquement israéliennes, comme cet homme qui répond sombrement à sa mère amésique qui lui demande qui lui a fait cette marque au visage "Les Syriens", ou la remarque de Malka à propos du metteur en scène de sa fille "Qu'est-ce qu'un Arabe a à voir avec Shakespeare ?", ou encore l'amertune de Michaël qui répond à sa femme qui se moque de sa méconnaissance de l'orthographe hébreu "En russe, au moins, je ne fais pas de fautes..." ; mais les histoires de solitude et de mal-être qui nous sont racontées pourraient trouver lieu dans bien d'autres villes d'Europe ou d'Amérique.
Les réalisateurs tissent habilement la toile de ce film choral dans toute la première partie, à la fois poétique et par moment hyperréaliste. La seconde moitié se perd un peu dans un sentimentalisme appuyé, et la légèreté offerte par le rythme énergique et les fréquents changements de tonalité se dilue progressivement. Malgré cela, "Les Méduses", Caméra d'Or au dernier festival de Cannes, est un film intéressant, ses défauts n'étant que les scories d'une ambition absente de bien des films d'aujourd'hui.