Tom DiCillo fait partie avec Alan Rudolph (plus âgé et disciple de Robert Altman), Martha Coolidge, Lasse Hallström, Hal Hartley, Michel Gondry, Jeremiah S. Chechik, Kelly Reichardt, Spike Jonze, Neil Labute, Alexander Payne et quelques autres, des réalisateurs travaillant sur le sol américain qui dans la foulée de Tim Burton et Wes Anderson (passés ensuite dans la grande roue de l’Entertainment) ont animé le cinéma indépendant de la fin des années 1980 au milieu des années 2000. Leurs films que pour la plupart, on rangerait aujourd’hui dans la catégorie des « feel good movies », se distinguaient par leur tonalité poétique très éthérée et naïve. Ils ont depuis été balayés par l’incroyable et dommageable vague qui a submergé les écrans via les adaptations de comics permettant le déploiement d’un cortège d’effets spéciaux servant de palliatif anesthésiant à l’indigence ou à la répétitivité de leurs scénarios. Tom DiCillo passé aux côtés de Spike Lee et de Jim Jarmusch par la New York University’s Film School, s’est tout d’abord essayé à faire l’acteur puis le chef opérateur avant de se consacrer à la réalisation. Son premier film, « Johnny Suede », avec Brad Pitt qui commençait tout juste à pointer le bout de son nez, est remarqué au festival de Sundance où il décroche le Grand Prix du Jury. S’ensuit « Ça tourne à Manhattan », comédie déjantée avec un Steve Buscemi omniprésent en réalisateur débordé par son propre film. « Box of Moonlight » qui accueille à son générique un John Turturro déjà aguerri et solidement établi, expose comme souvent chez DiCillo,(idem pour Alan Rudolph ou Hal Hartley) des personnages abordant la quarantaine qui au contact d’univers opposés aux leurs vont s’interroger sur le sens qu’ils entendent donner à leur vie. Al Fountain (John Turturro) est un ingénieur en génie électrique, spécialisé dans l’installation de turbines d’une marque spécifique. Obsédé par la rigueur que lui impose son métier et son tempérament plutôt introverti, il mène une vie où l’improvisation n’a guère sa place. Souvent en déplacement, il n’en n’impose pas moins à sa petite famille une discipline de fer qui visiblement traumatise son jeune fils avec lequel les rapports ne sont que fonctionnels. Les relations avec les agents de son équipe ne sont pas beaucoup plus empreintes de chaleur. La mécanique qui régit la vie monotone d’Al semble néanmoins avoir quelques ratés depuis peu. Repensant souvent à son enfance, Al est sujet à des flashes qui lui font voir les choses remonter le temps comme un verre qui se vide alors qu’une serveuse est en train de le remplir. Quelque peu tourneboulé, il profite d’un contre-temps survenu sur son dernier chantier pour partir à la recherche d’un parc d’attraction qui illuminait son enfance, les rares fois où ses parents l’y emmenaient. C’est là qu’il va rencontrer le Kid (Sam Rockwell), jeune homme lunaire et iconoclaste aux antipodes de sa personnalité très normée voire corsetée. Vivant au jour le jour en pleine campagne après avoir renoncé à une vie urbaine trépidante, le Kid prend la vie comme elle vient et se contente de prendre ce qu’elle veut bien lui donner. Ce choc des tempéraments parfaitement porté par John Turturro et Sam Rockwell est un régal, démontrant que lors de rares moments magiques volés au temps, les extrêmes peuvent se rejoindre. Tom DiCillo dont la caméra n’est jamais intrusive mais seulement un instrument d’accompagnement pour des acteurs en apesanteur qu’il ne faut surtout pas contrarier dans leur abandon et leur créativité, nous montre comment Al saisit l’occasion qui lui est donnée de retrouver l’innocence perdue grâce à ce grand enfant dont la cuisine en plein air trahit toute l’ingénuité. La rencontre fugace avec les deux jeunes femmes (Catherine Keener et Lisa Blount), elles aussi en recherche d’elles-mêmes, sera au diapason d’un film drôle et émouvant dont l’infinie tendresse réchauffe le cœur. « La boîte contenant le clair de lune » offerte par le Kid, servira à Al de passeport pour le retour à sa vie quotidienne qu’il mènera désormais en n’oubliant plus jamais l’enfant qu’il a été. Sorte de conte avec un Sam Rockwell pouvant se voir comme une sorte de génie d’Aladin sortant de sa boîte pour exaucer les vœux d’un voyageur égaré, « Box of Moonlight » est devenu un petit trésor pour certains des rares qui ont eu la chance de le voir. Malheureusement si les films de Tom DiCillo étaient peu onéreux, ils demeuraient aussi trop confidentiels pour lui permettre de continuer à diffuser le parfum si particulier d’un cinéma sans doute trop délicat pour une époque qui ne l’est plus guère. Dommage. Encore dommage