Une fois n’est pas coutume, j'invite ceux et celles qui ont l’habitude de me suivre à lire l’avis de l’internaute Chuck Carrey qui figure en première page des critiques les plus utiles (sa note, 4 sur 5) : à une chose près il a écrit ce que j’ai ressenti. Malgré une fin pas très heureuse (c’est le moins qu’on puisse dire), "No country for old men" vaut quand même largement le coup d’œil. A cela plusieurs raisons, plus ou moins liées entre elles. Tout d’abord, c’est la toute première fois que les inséparables cinéastes se basent sur une œuvre littéraire, à savoir le roman éponyme de Cormac McCarthy. Conséquence, nous perdons dans ce film les clins d’œil pour cinéphiles et les afféteries qui caractérisaient jusque-là les frères Coen. Cette fois, ils ont fait fi de leur style reconnaissable entre mille pour nous servir un road movie magnifiquement tendu et violent. C’est vrai que ce film commence de façon excellentissime. Une narration en voix off dont le ton hume bon la nostalgie d’un temps révolu, accompagnée de belles images, des images montrant de vastes contrées façonnées, torturées par un climat un peu rude et qui ne laisse pousser qu’un arbre au milieu de nulle part. C’est sans ménagement aucun que le spectateur se voit emmené dans un concours de circonstances synonyme de descente aux enfers. Dans cette épopée, deux personnages se détachent très nettement de tous les autres. D’un côté nous avons un texan nommé Llewelyn Moss, incarné par Josh Brolin, californien de naissance mais qui fait un texan très convaincant, typé comme il faut avec un caractère bien trempé décoré d'une belle moustache. De l’autre nous avons un mystérieux gars joué par un Javier Bardem au sommet de son art : en personnage décérébré au premier abord, il est hallucinant d’impassibilité et met immanquablement mal à l’aise par une posture et des discours qui en font un homme à la fois singulier et inquiétant, au point qu’aucun d’entre nous ne voudrait croiser sur sa route ce genre d’olibrius à la drôle de coiffure. Outre la prestation remarquable des deux acteurs principaux, en particulier de la part de Javier Bardem, le scénario est tout aussi remarquable par sa construction. On voit Moss traquer son gibier, une scène de chasse plus ou moins classique, mais qui va prendre une tournure que dans la réalité nous qualifierons d’inattendue puisqu’elle le mène sur une découverte qui en ferait fuir plus d'un. Et sa proie change. De fil en aiguille, le traqueur devient le traqué, et le nouveau traqueur devient lui aussi le traqué avant que le dernier traqueur ne devienne à son tour traqué. Vous avez compris ? Lol ! Je vous en prie, prenez le temps de relire. C’est un peu comme le fameux « je sais ce que je sais, je ne sais pas ce que je ne sais pas », etc etc… Bref ! Pour faire plus simple, les personnages deviennent tour à tour traqueurs et traqués, dont un est vraiment détraqué. Ça y est ? J'ai réussi à vous récupérer ? Bien ! Alors continuons. Toujours est-il que la tension et le suspense sont bien présents et tiennent en haleine le spectateur dans cette fuite qui mène jusqu’à la frontière américano-mexicaine. L’allocinéen Chuck Carrey précise dans son laïus que l’absence de musique ne se remarque pas. Ben pourquoi il en parle alors ? Au contraire ! Bien sûr qu’elle se remarque ! Parce qu’elle sert et améliore de façon admirable toute la tension qui se dégage de cette course effrénée vers la vie. C’est là que le propos de Chuck Carrey est paradoxale, mais c’est sur ce curieux paradoxe que je retombe d’accord avec lui, ainsi que sur le reste. Et ensuite, il y a cette fin curieuse. Curieuse sans doute par son absence de happy end. Enfin… ça dépend pour qui ! Toujours est-il que quelque part, le spectateur attristé est déçu par la tournure des événements car il espérait une meilleure issue. Mais si on y réfléchit de plus près, la logique est tout de même respectée, et en cela on doit reconnaître que ça change des habituels happy end. Autour des deux personnages principaux, gravitent quelques autres rôles secondaires incarnés par des noms bien connus sans être jamais mis en confrontation directe à l’écran. D’un côté Woody Harrelson, que nous verrons assez peu à cause de l’arrogance de son personnage, et de l’autre Tommy Lee Jones en shérif Bell, lequel ressemble davantage aux personnages coeniens. Assurément un bon film, comme je le disais plus haut tendu et violent, avec des scènes mémorables telles que les deux scènes d’hôtel ou de la station-service, menées de main de maître par une mise en scène admirable et au cours desquelles vos ongles risquent de souffrir sous vos dents crispées. Et encore, on s’aperçoit que ce film aurait pu être plus violent encore si certaines scènes n’étaient pas faites dans la suggestion, ce qui amène par ailleurs une alternance bienvenue. Ceci dit, la suggestion est tout aussi choquante que les scènes de violence, voire peut-être plus encore… Interdiction au jeune public logique.