No Country, qu'est-ce que c'est ? Une partie de cache-cache, rien de plus. Un mec trouve de l'argent sale, et un autre mec doit trouver le mec qui a trouvé l'argent sale. Voilà.
Voici donc Josh Brolin - impeccable bouseux texan - poursuivi par Jarvier Bardem - parfait. La partie peut commencer. Avec No Country, c'est toute l'Amérique que revisitent les Coen. Amérique historico-géographique, et Amérique du cinéma. La situation de l'action au Texas n'est absolument pas anodine, et les paysages désertiques et fondamentalement westerniens de l'Etat en disent beaucoup dans la construction d'un des discours du film, celui-là même qui est basé sur cette constatation d'un monde en pleine évolution. Les métropoles surpeuplées des USA que sont New York, Los Angeles ou San Francisco font ici place au paysage vide, à un retour vers ce qui fut l'essence du pays à la fin du dix-neuvième. Retour à la simplicité donc. Evidemment ce choix permet aussi aux Coen de faire leur western à eux, d'opérer là aussi un retour vers une mythologie totalement américaine. Surtout, de prendre l'espace. Il y a une scène fabuleuse dans La Mort aux Trousses, celle où James Stewart a rendez-vous en plein air ( la scène de l'avion ). Hitchcock brisait les codes du genre ( disons le genre " séquence où un mec va en rencontrer un autre dans une atmosphère hyper mystérieuse " ), en ouvrant totalement l'espace, tout en réussissant ce tour de force immense d'injecter du suspense à la séquence. Eh bien les Coen, pendant les 20 premières minutes du film, font ça, mais puissance 10. Tout le début du film est assez effrayant dans sa manière de présenter les faits. Les frangins choisissent un minimalisme sonore, contribuant à renforcer l'ambiance mystérieuse de l'oeuvre. Mais le son n'est pas le seul élément important, et visuellement il y a dans No Country For Old Men une manière de montrer crûment les choses, un refus total d'une esthétisation de la violence qui fout un froid pas possible dans le dos du spectateur. Le personnage d'Anton Chigur est évidemment le vecteur principal de cette violence, et Javier Bardem lui donne une neutralité expressive qui fait toute la différence. A l'image du film, il est plus dans la sobriété que dans la démonstration de force, et c'est ça qui fait peur. Son personnage est d'autant plus effrayant que sa détermination est à toute épreuve, et que rien ne semble l'arrêter. Pas besoin de rappeler la phrase d'Hitchcock sur les méchants...
No Country convoque donc le western, mais étend davantage sa référence aux genres cinématographiques. Il est aussi question ici d'un polar, d'un road-movie, mais aussi d'horreur. Le film brasse tous ces genres pour en ressortir un objet parfaitement hybride, un mélange extrêmement réussi qui se nourrit de toute l'histoire du cinéma. On pense à Naissance d'une Nation ( le rôle du montage dans l'élaboration d'une partie de cache-cache géante ) aussi bien qu'à Hitchcock encore ( voir la séquence du motel, qui fait penser à Psycho ). Pour continuer un peu sur l'horreur, elle fonctionne ici comme l'humour des Coen : à froid. Le spectateur ne sait pas toujours comment réagir à ce qu'il vient de voir ou d'entendre, et c'est ça qui pour l'humour fait rire, et qui pour la violence est glaçant. No Country For Old Men est si puissant parce qu'il parvient à nous interroger en profondeur sur notre rapport au monde en nous soumettant l'état du monde de la manière la plus détachée possible.
Si le film est en apparence simple, il n'en demeure pas moins vrai que son intérêt réside aussi dans sa manière de questionner la morale du spectateur en même temps que celle de Llewelyn, et dans sa capacité à convoquer diverses interrogations philosophiques. C'est un film d'action simple en même temps qu'une oeuvre incitant à la réflexion. Il se construit par exemple sur la répétition ( les trois personnages principaux se ressemblent un peu, ils sont liés. Les Coen le montrent simplement, grâce à une bouteille de lait qu'ils boivent tous les trois. Le détail qui fait la différence ), répétition des situations, quand Llewelyn et Chigur, accidentés, demandent leurs vêtements à des passants. L'un des passants demandera de l'argent quand l'autre le refusera. L'un est adulte, et l'autre est un gosse. L'un est entré dans le monde des grands, vicié et corrompu jusqu'à l'os. L'autre possède encore un peu d'innocence, mais plus pour longtemps ceci dit. Un petit peu d'optimisme mais énormément de pessimisme. C'est un monde d'autant plus cruel que les anciens en sont exclus, n'y comprenant plus rien. Décidément, ce pays n'est ni pour les vieux, ni pour les jeunes. Il est pour les dealers, les mafieux, les tueurs et les grandes personnes. Il est donc un peu pour tout le monde et c'est ce qui fait sa laideur.
J'ajoute juste que la fin pas forcément compréhensible me paraît le ping idéal au pong qu'est le prologue de A Serious Man. Les cinéastes ne cessent donc de pousser l'absurdité de l'existence à son paroxysme.