Molière a disparu quelques mois l’année de ses vingt-deux ans : et si, par hasard, il avait rencontré les modèles de ses Harpagon, Dorante, Jourdain et autre Célimène ? L’idée a priori d’imaginer des événements de la vie de Molière aurait pu avoir le double avantage du fantasme historique et de la redécouverte de l’un des plus grands génies (et l’on pèse ses mots) de la littérature. On assiste au délire déterministe d’un scénariste et d’un réalisateur qui ont décidé que Molière n’avait rien inventé, mais tout pompé sur son escapade. Il se retourne déjà dans sa tombe. Il est, certes, difficile d’évoquer un auteur aussi important. Il est tout aussi facile de crier à la trahison devant un film qui tente de mettre Molière en scène, et, de surcroît, d’imaginer les quelques mois que l’on ne connaît pas. Mais, devant un tel flot de non-sense et de médiocrité, on ne résiste pas à la tentation de se plonger dans le bain de la critique la plus virulente. Quelques petites idées sont bonnes, et démontrent une certaine volonté de réflexion sur les genres littéraires :
Molière revient à Paris en 1658 avec Madeleine et sa troupe, après une première tournée en France. Il voudrait écrire une tragédie, comme Corneille. Mais on ne l’attend que dans le registre de la comédie : genre plus noble, la tragédie n’est pas son fort. Il témoignera pourtant d’un génie de l’atrabilaire dans Le Misanthrope
. Mais la réflexion s’arrête là, pas très loin donc. Le film démarre réellement
lorsque Jean-Baptiste Poquelin, acculé à la fuite par ses créanciers, se voit proposer un marché par un certain M. Jourdain (tiens, tiens), un bourgeois moyennement gentilhomme : il lui apprend à jouer et à écrire, il annule ses dettes. M. Jourdain est marié à Elmire (tiens, tiens 2), et voudrait être admiré de Célimène (tiens, tiens 3), déjà amante de Dorante (tiens, tiens 4). Il rencontre en somme un certain nombre des personnages qui feront son succès et son talent.
Il n’a rien inventé ? Son style sans doute, son rythme… Mais, mise à part une scène assez réussie où Molière parle à Jourdain par le biais d’un miroir, la caméra ne prend jamais le parti de la comédie : elle préfère la bouffonnerie, le cabotinage. On aura donc droit à toutes les répliques cultes, filmées en gros plans rapides et censées rappeler les phrases fétiches de pièces de Molière à un spectateur du XXIe siècle qui a étudié "Le Malade imaginaire" ou "L’Avare" en quatrième. On pense beaucoup à l’admirable libertin avec Vincent Pérez qui tentait de se mettre dans la peau de Diderot, on rit jaune devant Luchini qui, seul, insuffle une épaisseur à son personnage de médiocre conscient, on pleure de rire devant l’hystérie insensée de Ludivine Sagnier en Célimène. On ne remettra pas en cause le talent de ces acteurs, très mal dirigés, même celui de Romain Duris qui semble s’être perdu dans la fierté de jouer le grand Molière en oubliant que ce dernier ne s’est pas vraiment distingué par une tignasse flottant au vent et des cavalcades dans les jardins (qu’allait-il faire dans cette galère ?). Jamais on ne sent la subtilité du maître tant elle est noyée sous des monceaux de chichis. "C’est un métier, M. Jourdain, de sentir et non de paraître", entend-on dans la bouche de Molière qui ressemble plus à un coureur de dots qu’à un futur génie. Tiens, tiens… effectivement. Cela dit, ce "Molière" reste un film de bonne facture