On a vu pire que "Little Miss Sunshine" dans le genre « morales lénifiantes » – les grands classiques : « Assumez-vous comme vous êtes », « C'est dans les difficultés que la famille et l'amour prennent tout leur sens », « L'important est de participer », réunis dans un mélange qui n'est ni subtil ni cohérent. On a aussi vu pire dans les galeries de personnages caricaturaux – un universitaire spécialiste de Proust, donc forcément homosexuel, donc forcément dépressif et suicidaire ; un adolescent forcément renfermé sur lui-même, et pour cause ; une mère de famille grâce à qui toute la famille tient ; un père qui joue les « gagnants » mais s'avère être un raté. (Peut-être l'intention des réalisateurs était-elle de pousser les clichés jusqu'au bout, dans un but parodique. Si c'est le cas, c'est raté ; si ce n'est pas le cas, ça ne pouvait qu'être raté.) On a vu pire aussi dans les gags prévisibles – l'oncle rencontre son ancien amant juste au moment où il achète des magazines très hétérosexuels ? La prestation finale d'Olive est d'un mauvais goût achevé ? La voiture tombe trois fois en panne ? Étonnant ! On a vu pire enfin dans les invraisemblances – des pannes de voiture mystérieusement résolues, un cadavre qui passe inaperçu, un adolescent qui lit Nietzsche mais ignore qu'il est daltonien... Sans compter le "happy end" difficilement admissible... Mais si on a vu pire que "Little Miss Sunshine", c'était dans des comédies qui avaient la décence de ne pas « cibler » en premier lieu les adultes, et de ne pas se réclamer du cinéma indépendant : "Maman j'ai raté l'avion" (Chris Colombus, 1990), "Chérie j'ai rétréci les gosses" (Joe Johnston, 1989), ce genre de choses.
Je n'arrive pas à comprendre ce qu'il y a d'« indépendant » dans le film de J. Dayton et V. Faris. (Je ne reproche pas au film de ne pas être « indépendant » : il y a des bons « films à succès ». Je lui reproche de jouer sur ce terrain, qui n'est pas le sien.) Évidemment on est loin du "blockbuster" classique, mais quand on me parle de cinéma indépendant, je m'attends des films qui véhiculent une vision du monde (celle du cinéaste, qu'elle soit partagée ou non par son public), à des films qui font la part belle aux interprétations des spectateurs (ce que Umberto Eco appelle « œuvres ouvertes »), à des films dans lesquels on trouve des prises de risques, ou tout au moins un minimum d'audace (éventuellement au niveau du sujet, mais surtout en ce qui concerne la forme et le langage cinématographiques). Rien de cela ici. Il ne suffit pas, pour faire une « comédie indépendante », de mettre en scène une famille moderne dont les parents ne sont pas si unis et dans laquelle l'adolescent de la maison se sent mal à l'aise. Il ne suffit pas non plus, pour sortir des sentiers battus, de produire une satire du milieu des « mini-miss » (et de leurs parents), satire au demeurant plutôt réussie, mais relativement convenue et guère radicale : une fois que l'on a montré le caractère artificiel et superficiel de ces compétitions qui tournent souvent au concours de chiens savants, qu'a-t-on montré ? Il faut essayer de soigner la réalisation, et de ce point de vue," Little Miss Sunshine", en dehors d'un jeu sur les couleurs intéressants, ne propose guère plus qu'une fiction télé du soir.
Les quelques bonnes idées ne sont pas assez fortement exploitées, et ne suffisent pas à faire un bon film. Il y en a pourtant. En dehors de la satire mentionnée ci-dessus, quelques scènes à garder : l'évacuation du grand-père hors de l'hôpital, la sortie de Wayne en dehors du van – c'est quand le film joue avec les thèmes de la mort ou de la solitude qu'il devient intéressant. De même, les relations entre les personnages (en particulier entre grand-père et petite-fille, et entre oncle et neveu) pouvaient fournir un bon tremplin, jamais vraiment exploité – que ce soit sur un mode comique ou non. Soigner ces scènes, approfondir ces relations, cela aurait pris du temps ; or les réalisateurs donnent l'impression d'avoir privilégié la rapidité du rythme au détriment de la profondeur : tout est filmé sans temps mort, ce qui a le défaut de tout mettre sur le même plan, l'important et le dispensable, le bon – rare - et le mauvais – trop fréquent.