Une obsession américaine traverse tout le film : celle de la réussite, soutenue par une conception qui réduit le monde à une opposition entre gagnants et perdants. D'emblée, Frank a sinon choisi, au moins adopté le clan des loosers, accumulant déception sentimentale, échec professionnel et blessure d'égo ; il peut compter dans son camp sur son neveu Dwayne, qui dans son mutisme volontaire clame sur son petit carnet sa haine de la famille, de l'école et de la société... même s'il a l'ambition de devenir pilote dans l'US Air Force. Dans le camp adverse, on trouve le père, théoricien du succès et néanmoins praticien de l'échec, et à un moindre degré le grand-père qui rejoint son fils sur l'idée que l'essentiel est de tenter, quelqu'en soit le prix.
C'est cette même fascination pour la compétition qui pousse des familles à inscrire leur gosse à des concours de mini-miss, représentés ici avec un réalisme terrifiant ; et les images de ces mini-poupées Barbie renvoient à celles montrées ces derniers jours à propos de Jonbenet Ramsey, assassinée il y a dix ans, accentuant encore le malaise devant cette instrumentalisation des gamines pour assouvir des désirs d'adultes. Et la normalité d'Olive, qui s'amuse comme n'importe quelle môme de son âge, même un peu boulotte, est la réponse la plus saine qu'on puisse apporter à cette sinistre farce.
Mais s'il est aussi une réflexion sur les névroses de l'Amérique, au même titre qu'un "American Beauty", "Little Miss Sunshine" est avant tout une comédie, et une comédie très réussie. Ca démarre assez classiquement, avec des scènes d'exposition suffisamment longues pour permettre de présenter chaque personnage et ses nombreux petits dérangements. Puis, progressivement, alors que commence le périple entre Albuquerque et Redondo Beach, le rythme s'accélère. La route monotone est parsemée de petits (et de plus grands) événements qui perturbent l'équilibre déjà fragile de cette famille en permanence au bord de la crise de nerfs. Et ces petits bugs sont la matière première des gags qui s'amoncèlent crescendo, avec une précision quasi-horlogère, un événement déjà oublié servant de chute une demi-heure plus tard à une autre catastophe familiale.
Le choix de Toni Colette pour jouer la mère n'est pas neutre ; dans une autre rôle (passée de fille à mère), dans un autre état-continent, on retrouve la même jubilation iconoclaste que dans "Muriel", la même cruauté attendrie pour décrire la bêtise humaine et ses cortèges kitschs, et la même faculté à amuser et émouvoir dans une même scène. Comédie apparemment sans prétention, "Little Miss Sunshine" peut postuler dès maintenant, à l'instar de son modèle australien, au statut de futur film-culte.
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