Le film commence par une claque, celle donnée à Jeanne par sa mère, consécutive à une dispute dont on ne saura rien, sinon qu'il s'agit de leur mode de communication habituel. De ce contact corporel violent découlera la révélation de la caste de son père, intouchable, ou "enfant de Dieu", formule politiquement correcte que l'un d'entre eux, rencontré dans l'avion, qualifie d'encore plus méprisante. Dès l'instant de cette révélation, Jeanne se sent elle-même intouchable, au sens littéral : par l'homme rencontré dans un café au sortir de chez sa mère, par son partenaire dans le film (où elle illustre le monologue de Brecht qu'elle récitait peu avant : « Habitués à la souffrance, nous y étions intouchables »), et même par son amant. Il y a d'ailleurs un parallélisme intéressant entre deux scènes de maquillage : celle qui précéde le tournage de la scène d'amour et qu'elle vit si douloureusement, et celle où la plus jeune fille de celui qu'elle croit être son père l'habille d'un sari avant sa rencontre avec celui-ci.
Benoît Jacquot cite un film de Cukor qui se déroule en Inde, "La Croisée des Destins", et qui l'avait beaucoup marqué adolescent. Il évoque aussi "Le Fleuve" de Renoir, qu'il a revu à la cinémathèque peu avant le tournage ; et comment oublier qu'il a été l'assistant de Marguerite Duras sur "India Song" et "La Femme du Gange". Car "L'Intouchable" a indéniablement des accents durassiens, et formellement, par des dialogues très écrits posés dans la bouche des personnages, et sur le fond, par la quête de l'identité volée ; et Pont-à-Mousson où réside sa mère semble une lointaine réplique de Nevers, tout comme Bénarès où Jeanne ne verra rien -les touristes ne peuvent pas approcher des crémations- évoque Hiroshima, autre cité placée sous le signe de la mort.
Tourné en 16 mm et en lumière naturelle, "L'Intouchable" a été tourné avec une équipe légère, en adoptant le style du documentaire. La caméra, plutôt frontale dans la première partie française, se met à suivre Jeanne, devenant presque subjective ; et quand elle quitte l'école où elle a retrouvé son vrai père, les écoliers qui l'accompagnent regardent la caméra, comme tous les gosses du monde quand ils n'ont pas été briefés avant.
Isild Le Besco, qui a obtenu le prix Mastroianni à Venise, est présente dans tous les plans du film. Après une scène de dispute introductive assez cliché, il sufit d'un plan d'une seconde, celui de son sourire attendrie en voyant sa mère en sari, pour comprendre que son jeu utilisera à bon escient toutes les couleurs de la palette. "L'Intouchable" est le quatrième film qu'elle tourne avec Jacquot, après "Sade", "Adolphe" et "A tout de suite", et la façon dont le cinéaste filme sa muse montre une complicité qui rend encore plus crédible cette histoire de voyage intiatique à la recherche du père, car selon Benoît Jacquot "c’est cette question liminaire : « de qui sommes nous les enfants ? » qui est fondatrice de tout récit".
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