Dans bon nombre de polars, la clarté de l’intrigue et du déroulement de l’action est un peu négligée pour privilégier une ambiance, la révélation de travers sociétaux ou le spectaculaire. Rien de tel avec ce troisième opus « Noir » de James Gray : le scénario est rigoureux, le film parfaitement écrit et les scènes s’enchainent avec logique et fluidité. Des scènes plutôt courtes, qui vont à l’essentiel, et dont la continuité est souvent assurée par le procédé qui consiste à faire entendre le début de la scène suivante sur les dernières images de la scène précédente. Il en résulte un film efficace et constamment prenant, et l’on se souviendra longtemps de certaines scènes : plus encore que de celle de la poursuite en voiture sous la pluie, dans laquelle le manque de visibilité et le bruit des essuie-glaces fait monter la tension, de celle de ces deux scènes où Bobby, le personnage principal, se retrouve en face à face avec le terrifiant Vadim, le chef de la mafia. En accord avec son titre, c’est un film nocturne, et les rares scènes de jour se déroulent sous la pluie où dans un brouillard ouaté. L’action se passe dans le New York de la fin des années 80, période où la ville se caractérisait par sa violence et son insécurité. Deux camps sont en présence, entre lesquels cette violence va crescendo. La mafia Russe qui est en train de dominer le marché de la drogue, et pour laquelle tous les moyens sont bons. Le camp du mal. La police dont l’objectif est de neutraliser cette mafia, et à laquelle le film doit son titre, qui est la devise d’une unité de la police Newyorkaise. Le camp du bien. Le contraste entre ces deux camps, aux fonctionnements et valeurs bien différents, est superbement montré par la juxtaposition des deux premières scènes montrant chacune une soirée festive. Le thème central du film est le déchirement de Bobby entre ces deux camps, qui sont aussi pour lui deux familles. Car il va lui falloir choisir, ce à quoi il se refusait au début du film, les évènements s’imposant à lui comme dans les tragédies. Et comme dans tout choix, il y a une part de renoncement, ici à un genre de vie, à des espoirs, voire à sa personnalité. C’est aussi de cela qu’il s’agit, d’une tragédie qui puise ses racines dans des thèmes universels : le mythe Grec des Atrides où la famille se déchire, les paraboles bibliques de Abel et Cain et du retour du fils prodigue. Ce qui fait qu’elle résonne profondément en nous.