Après avoir rencontré l'échec et la dépression en adaptant un roman contemporain, "Une Femme de ménage" de Christian Oster, Claude Berri s'attaque donc à une nouvelle transposition à l'écran d'un roman récent. Certes, l'univers d'Anna Gavalda est davantage cinégénique que celui d'Oster, proche de Echenoz, qui joue beaucoup plus sur l'absurdité produite par la cohabitation de certains mots que sur le réalisme des situations. Certes, le succès du livre présage plutôt d'un bon résultat au box-office, comme le montrent les succés récents des adapations de best-sellers tels que "Ne le dis à personne", "Da Vinci Code" ou "Le Diable s'habille en Prada".
Mais comment réduire à 100 minutes un roman de 600 pages avec de nombreuses histoires imbriquées, portant notamment sur la découverte progressive du passé des quatre protagonistes ? Claude Berri y réussit plutôt, notamment en adoptant un montage assez proche de l'écriture d'Anna Gavalda, faite de très courtes scènes entecoupées de nombreuses ellipses. Il a surtout eu le talent de trouver les acteurs correspondant le mieux à des personnages imaginés depuis longtemps par 350 000 lecteurs. Si Guillaume Canet vient immédiatement à l'esprit pour incarner la brute au coeur tendre, il fallait de l'imagination et de l'audace pour demander au Comédien Français Laurent Stocker de jouer Philibert : coup de maître, puisqu'il est excellent, évitant la caricature pour un personnage aussi stéréotypé.
Claude Berri avait voulu Tsilla Chelton, mais les assurances toujours aussi élégantes ont refusé en considération de l'âge de l'actrice fétiche de Ionesco. Françoise Bertin s'acquitte avec bonheur de se remplacement en donnant corps à cette mamie entêtée et finalement assez injuste. Audrey Tautou est elle aussi une remplaçante de luxe, puisqu'elle a succédé à Charlotte Gainsbourg immobilisée à la suite d'un accident. Elle impose son mélange de fragilité diaphane et de gouaille, et confirme qu'elle est aujourd'hui une des actrices française qui comptent. "Ensemble, c'est tout" présente des similitudes avec "Le grand appartement", de Pascal Thomas : une communauté improbable cohabite dans un immense appartement menacé par la rapacité des propriétaires. Mais là où Laetitia Casta réagissait en menant la lutte, les habitants du phalanstère de Philibert encaissent les coups et se laissent ballotter sans combattre, habitués qu'ils sont à la précarité.
La principale faiblesse du film réside sans doute dans l'incapacité à introduire de vraies ruptures dans le récit. Les rebondissements sont réduits à des péripéties prévisibles, et l'émotion ne nait que furtivement, plus au détour de quelques plans presques subliminaux (un traveling sur les employées de Touclean fêtant Noël, l'arrivée d'une vieille dame cabossée aux obsèques), que quand la musique un peu datée de Frédéric Botton vient nous souligner que c'est là qu'il est bon de s'humecter les yeux.
En condensant par obligation les détails qui inséraient le destin des personnages d'Anna Gavalda dans une âpre contemporanéité, Claude Berri et François Dupeyron qui l'a secondé édulcorent forcément cette dimension, et rendent encore plus pesants les bons sentiments déjà présents dans le livre. "Ensemble, c'est tout" réussit à dépasser le statut de super-téléfilm format "Louis Page" ou "Louis la Brocante" essentiellement grâce à la subtilité du jeu des acteurs ; on n'est certes pas chez Capra, mais Audrey Tautou et Laurent Stocker réussisent à nous entraîner dans leur histoire, et c'est déjà pas mal.
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